Nouvel album de l’ornithorinque de la chanson française
            
            William Sheller se  compare lui- même à l’animal le plus inclassable de la création: à l’avant  c’est un canard, à l’arrière un castor, au milieu il y a des palmes. Une façon  comme une autre de nous rappeler qu’il n’aime pas les étiquettes et de nous préparer  à l’écoute d’un nouvel album, encore plus déconcertant que le précédent. Des  sonorités japonaises, le tempo des joggeurs du parc Monceau, des accents de  Stravinski en inspirent tour à tour les différentes compositions. 
            - « Je ne suis pas  écartelé entre le classique et la variété, comme on a pu l’écrire. Disons que  je meuble mon intérieur dans des styles, différents. C’est bien de notre  époque, où le design peut côtoyer les antiquités. Dans le domaine de la  création artistique, Cocteau a été le premier à mélanger ainsi les genres au  théâtre et en peinture. C’était alors très décrié, car à l’époque on aimait  savoir à quoi l’on avait affaire. »
            
            - « Vos textes traduisent à nouveau  une mélancolie tenace... »
                        - « C’est vrai que je ne chante pas "Youpi, voilà le soleil !" Dorothée fait ça très bien, à la  télé. Il n’empêche que, de temps en temps, j’aimerais bien broder une petite  gaudriole sur la dentelle des sentiments. Mais je parie que les radios ne  diffuseraient que celle-ci. Je finirais alors comme Carlos, coulé malgré lui  dans un moule de guignol. En fait, si je m’autocensure un peu en studio, je me  permets davantage de fantaisie en scène. »
            
            - « Vivez-vous toujours avec  l’enfant que vous étiez ? » 
                        - « Oui. A une époque de ma vie, je l’ai perdu de vue et j’en ai été très  malheureux. C’était le temps du vedettariat, des autographes et des télés à la  pelle. On ne peut pas à la fois créer et entretenir son monument de star. On  perd alors tout contact avec la réalité. Je ne faisais plus que de la  caricature de Sheller. Quand j’étais môme, je souhaitais devenir compositeur ou  musicien. Mes parents, passionnés de jazz, en invitaient à la maison.  Aujourd’hui, ie me sens moi- même lorsque je m accroche à ce rêve comme à une  bouée. »
            
            - « Le show-biz vous aurait-il déçu  ? »
                        - « Non, il m’a donné ce qu’il faut de notoriété pour communiquer. Car c’est  cela, l’essentiel. Il n’y a rien de plus stérile que les talents ou génies  incompris. Le métier m’a aussi révélé mes limites : je ne serai jamais un  chanteur "à voix". Récemment, ma maison de disques m’a aussi offert  la liberté. Mon précédent album, qu’elle avait qualifié d’invendable à sa  sortie, est devenu disque d’or. On me fait donc confiance pour la suite... »
            
            - « La télévision a repassé l’autre jour  "Ma femme s’appelle revient..."  dont vous aviez écrit la musique. D’autres projets au cinéma ? »
                        - « Nous vivons le temps des vidéo-clips. J’écris chacune de mes chansons  en songeant aux images qu’on pourrait coller dessus, et je crois que ça se  remarque, car beaucoup d’amis m’ont dit qu’ils les avaient reçues comme autant  de séquences filmées. Mais pour répondre à votre question, j’aimerais bien  sortir du cadre un peu étroit des comédies intimistes. Mon rêve serait de  composer pour de "grands espaces cinématographiques": Star Wars ou E.T. me brancheraient vraiment. Et pourquoi pas un péplum ? »