Eclectique, il a la bosse de la musique. Voyageur, il part en tournée après avoir arpenté
le pavé de Paris. Pour… Quasimodo, la comédie des miracles.
Brume sur la Seine. Quasimodo traverse la scène. Une mouche zonzonne. Au loin, les cloches sonnent. Passent deux bonnes sœurs et une Sarrasine. Paris s’étire, le pavé s’attiédit sous le pas claudiquant du fou de Notre-Dame… Fin du prologue.
Pour le théâtre de L’Unité, qui met en scène cette année un Quasimodo festif (1), le compositeur Willliam Sheller a écrit une musique narrative à rebondissements, avec morceaux de bravoure et chœurs de lion. Belle ouvrage, sire Guillaume.
Sheller, chic Bill, a d’autres cordes à son arc. Et d’autres baladins à ses côtés que ceux de la cour des Miracles de Paris : dans les fourgons de sa tournée (2) s’esbaudissent un piano, quinze musiciens belges et moult chansons d’aujourd’hui et d’auparavant, harmonieux jalons d’une carrière dissonante.
Car l’enfant de jazzeuse et de contrebassiste fait depuis toujours valser les étiquettes. Après des études musicales de bon aloi, voilà-t-il pas qu’il écrit un tube (My year is a day, par les Irrésistibles) ; dédie une messe, Lux aeterna, à deux amoureux de ses amis ; orchestre des musiques de film et un album de Barbara… Et entre au hit-parade avec Rock'n'dollars, tube débridé et drôlatique qui lui ouvre les portes dorées du show-biz. « Une époque charmante. Pensez-donc : on passe à la radio, on a une bonne table au restaurant, de bons morceaux chez le boucher… »
Le deuxième disque prolonge le charme, rencontre avec Hallyday, soirées avec Sardou, bises à Vartan. Rien ne va plus avec la troisième galette : rompu aux mondanités, l’artiste bâcle ses devoirs et s’autocaricature. Une retraite honorable s’impose. Sheller prend la porte avec Ho ! j’cours tout seul, qui dit bien ce qu’il veut dire. Et s’adonne à d’autres travaux. Publicitaires, notamment. Il renoue avec ses premières amours classiques, s’essaie à la scène, « soutenu à bout de bras par Jean-Michel Boris, à l’Olympia. On me disait fini, au poteau… »
1983. En la bonne ville de Bruxelles, William Sheller lève le rideau sur son et ses quatuors à cordes. Surpris, séduit, le public est preneur. « C’est une histoire salutaire. Les artistes doivent travailler, chercher, créer loin du maternage des maisons de disques. Ce n’est pas dans un studio qu’on apprend ce métier. Il faut aller à Montmorency. Moi, j’ai longtemps tourné avec mon piano, je tenais salon dans de petites salles. Un punk m’a dit que, finalement, les quatuors, c’était moins ennuyeux qu’il croyait. Des élèves de conservatoires m’ont demandé mes partitions. Les jeunesses musicales de France m’ont fait faire cinquante concerts. »
L’élégant Sheller se familiarise avec les tribulations épiques des gens du voyage : piano désaccordé, projecteurs en carafe, instruments enfermés dans une voiture dont on a perdu les clés à Pontarlier. « C’est un basset en pull-over qui les a retrouvées dans la neige. » Toutes tranches de vie qui nourrissent l’inspiration d’un compositeur qu’on supposait moins doué pour la rigolade.
Dans un décor rococo-bd (papier à fleurs, gazon de banlieue, ville du futur), Sheller tricote des chansons d’Univers, son dernier album, avec quelques sœurs aînées un peu oubliées mais fraîches à ravir. Oyez le chant présent d’un symphoman de belle allure, qui court tout seul sans perdre haleine.
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1) Quasimodo, spectacle lacustre : 181 avenue Daumesnil, Paris 12e.
Disque du spectacle : 834 161-1, dist. Polygram.
2) William Sheller en tournée : le 9 décembre à Bordeaux, le 10 à Montpellier, le 12 à La Louvière,
le 13 à Reims, le 14 à Nancy, le 15 à Strasbourg.