William Sheller sera au Grand Rex pendant une petite semaine, du 18 au 24 novembre. Un spectacle attendu pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’on n’a pas vu Sheller sur une scène parisienne depuis plusieurs années ; ensuite parce qu’avec son dernier album, Univers, il semble bien que le chanteur ait franchi une étape importante : il est plus maître de sa création, plus à même de réaliser la synthèse dont il rêve entre musiques populaires et savantes.
Sheller est un drôle de bonhomme ; il y a quelques années, on n’aurait pas donné cher de sa crédibilité artistique. Cet apatride franco-américain, remarqué pour une chanson Rock’n’dollars, sur laquelle la postérité ferait mieux de tirer un trait, avait tout de la créature de show-biz. Poisson calibré nageant dans les eaux tranquilles de la variété, Sheller chantait, un peu, écrivait, surtout pour les autres, arrangeait, aussi. Y compris pour Barbara, ce qui était, déjà, un gage de qualité. Sheller ne s’est pas arrêté là : il s’est battu pour imposer son talent d’auteur ; et il a su continuer le combat au-delà du succès, c’est chose rare, pour exprimer ses exigences musicales. D’où cet album, Univers, déjà en rupture avec les titres qui ont fait sa gloire, de Nicolas au Carnet à spirale. Sheller, pourtant, aurait pu se contenter d’une bonne conscience littéraire. Son registre, de Oh ! j’cours tout seul aux Orgueilleuses, c’est celui de l’élégie proustienne : des mélodies néo-classiques habilement troussées, quelques regrets rimés, et le tour est joué. Entendons-nous bien, cette facilité plaçait déjà Sheller parmi les meilleurs de la chanson française. Seulement, c’était bien une facilité, un peu inaboutie, un peu systématique. L’intelligence de Sheller fut alors, pour progresser, pour mieux s’exprimer, de s’attaquer aux structures formelles du show-biz. Témoin la tournée qu’il entreprit en 1984, ponctuée par un passage à l’Olympia, où il abandonnait les orchestres classiques pour s’entourer d’un quatuor à cordes. Un bel album « en public » témoigne de cette expérience : les mélodies se dépouillent, et donc ressortent d’autant mieux, de même que la poésie ténue, légère et fugace des textes.
Car Sheller, de formation classique, est intéressé par la diversité des formes musicales. Son rêve secret, sans doute irréalisable, tant il reste un franc-tireur, c’est de gommer les différences entre musiques savantes et populaires, de rapprocher la chanson de la création contemporaine ; quelques musiciens travaillent dans ce sens. On pense à Maxime Le Forestier, qui avait demandé une musique à Alain Louvier ; mais Sheller s’intéresse moins à la recherche en soi qu’à la coloration musicale que peuvent apporter des structures néo-classiques. D’où son désir de travailler avec des orchestres symphoniques ; d’où sa volonté d’être accompagné, au Rex par une formation acoustique. Cela ne va pas sans heurt : il s’était violemment opposé à sa maison de disques, il y a trois ans, qui refusait de publier ses Quatuors instrumentaux (On l’avait même pénalisé en l’obligeant à sortir un mini-album, Simplement).
Aujourd’hui avec Univers, Sheller a pu s’exprimer totalement. L’album a enfin le souffle, la dimension dont il rêvait. Prenez Le Nouveau Monde, par exemple, qui mêle instruments électriques, refrain acoustique façon Lully et les chœurs de l’Opéra de Paris. La chantilly est montée ; on quitte les petites musiques de nuit pour viser le majestueux –le pompier, diront certains-. Idem pour cet Empire de Toholl, extrait d’un opéra à venir, fresque galactique aussi surchargée que cristalline. Sheller, qui avait travaillé sur une des premières ébauches de Lily passion, le spectacle Barbara-Depardieu, devrait très vite dépasser le cadre limité de la chanson, pour écrire quelque chose de plus long, de plus complexe.
Il ne faudrait d’ailleurs pas qu’il s’y perde. Ses ambitions sont louables ; elles montrent un vrai désir de se renouveler. Il ne faudrait pas qu’elles dévorent le pauvre Sheller. Car dans son dernier album, on trouve aussi de très jolies choses plus traditionnelles ; où en trois minutes, le temps d’une chanson normale, tout est dit. On pense par exemple à Guernesey, titre coécrit avec Bernard Lavilliers, prodige de délicatesse ; ou, sur l’album précédent, Le Capitaine, charmante japonaiserie inspirée de Madame Butterfly.
Sheller nous promet un décor très BD kitch, dont une partie est due au dessinateur Philippe Druillet. Wait and see. Mais que ce souci d’innovation, cette obsession du changement ne transforment pas l’une des valeurs les plus délicates de la chanson française en expérimentateur stérile.
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Grand Rex, du 18 au 24 novembre, 20 h 30.