A
peine sorti, son nouvel album Univers a immédiatement fait l'unanimité
tant auprès de la critique que du public, sans cesse bousculé par
une succession de nouveautés. C'est peut-être que ce 33 tours est
le premier que William Sheller revendique totalement. Du choix du matériel
à la part du risque. Il en a assumé l'entière responsabilité.
Exit les compromissions commerciales ! C'est le créateur qui s'impose sans
toutefois renier ses thèmes de prédilection. On y retrouve les mêmes
échos de l'enfance et cette tendresse pudique qui flirte avec une pointe
de désespérance, mais qui s'expriment sur une ligne symphonique
en ligne claire. Hier à Bruxelles, demain à Paris, William Sheller
sillonne actuellement la Francophonie pour une série de concerts qui sont
autant d'évènements de qualité. C'est précisément
à Bruxelles, au Cirque Royal, que nous avons rencontré ce "symphoniste".Très
aimablement, il a accepté de marquer une pause sur ce chemin musical pour
répondre à quelques questions
-
"Après avoir entrepris une tournée avec un quatuor à
cordes, pourquoi revenez-vous à présent à un orchestre plus
symphonique ?"
- "Je ne reviens pas à quoi que
soit. Je continue mon chemin, là où j'ai envie de me promener. C'est
vrai qu'un orchestre symphonique permet de faire plus d'images qu'un quatuor à
cordes. Si j'avais utilisé des synthétiseurs, on aurait peut-être
parlé d'images mais certainement pas de musique symphonique. Je tenais
à jouer avec des vrais instruments car ils sonnent mieux et permettent
plus de composer en termes d'images. Cette vision des choses est encore plus importante
maintenant à cause de la vidéo, le compositeur est obligé
de penser en termes d'images."
-"Lorsqu'on
parcourt chronologiquement votre carrière, on perçoit une alternance
de musique pure et de variétés. Est-ce la chanson précisément
qui vous permet de vous consacrer de temps à autre à la musique
?"
-"Pour moi, la variété implique
la variété ! Je ne parle pas en terme de rentabilité. Je
ne me situe nulle part réellement. Sans m'interroger, je fais ce que j'aime
bien et puis ce que je crois que les gens aimeront bien. Je ne pense jamais en
terme de Top 50 ! Je suis persuadé qu'on peut vivre et composer sans les
principes sur lesquels on croit que le métier est basé. Mais il
est vrai que cela demande plus de temps".
-
"Comment composez-vous ?"
- "Dans le noir ! Je n'ai
plus ouvert les volets de mon bureau depuis 3 ans ! Je recrée la nuit de
façon artificielle. Comme une grande part de mon travail comporte une partie
graphique, j'ai besoin de lumière directement dirigée sur mon papier
à musique, ce que la lumière du jour ne me permet pas ! Je garde
tout également : mes tiroirs sont pleins de bouts de papier que je conserve
précieusement parce qu'ils peuvent s'enchaîner à une autre
composition quelques années plus tard !"
-
"On vous dit Tintinophile. Une de vos compositions porte le nom d'une célèbre
librairie bruxelloise spécialisée en bandes dessinées. Quels
sont vos rapports avec la BD ?"
- "Ce libraire précisément
me dit souvent que je n'aime pas la BD, mais que j'aime le graphisme. Un auteur
comme Pratt par exemple ne me branche pas. Par contre, j'aime par dessus tout
ce que fait Philippe Druillet. Si j'ai écrit L'Empire de Toholl,
c'est en rapport avec l'uvre de cet auteur. Nous nous connaissons depuis
des années et rêvons de faire un opéra ensemble. Il m'avait
d'ailleurs demandé de composer la musique de son dernier dessin animé, L'Enfant bleu. Malheureusement je n'avais pas le temps ! Mais en écoutant L'Empire de Toholl, il s'est écrié, stupéfait : "Mais
c'est ça que je veux !" Forcément, il s'est reconnu dedans
! J'apprécie aussi énormément l'art d'Ever Meulen qui, pour
moi, est un grand bonhomme. Après une première lecture sympa, on
peut relire ses dessins indéfiniment. Son dessin est intelligent, épuré,
tout en ménageant une foule de détails. Je reconnais qu'il y a eu
un raz-de-marée de bandes dessinées et qu'il y a une affluence de
cochonneries au Top 50 ! Mais la grande BD qui fait partie intégrante de
la culture, c'est la ligne claire : Hergé, Jacobs
Pour moi, Shakespeare
et Tintin, c'est pareil, parce qu'ils ont tous deux marqué les mémoires
des peuples".
-"La ligne claire vous-a-t-elle
marqué dans votre écriture ?"
- "Certainement
! Bien que mes textes ne soient pas clairs du tout. Je n'aime pas tellement les
impressionnistes. Pour moi, il faut que cela soit clair. La démarche d'épuration
est un travail d'intelligence à partir de la spontanéité.
Ce qui est spontané est beau, mais il faut l'affiner pour arriver à
l'essentiel. Je veux que mes textes soient efficaces mais qu'ils laissent l'imagination
finir les phrases. Les gens doivent pouvoir comprendre ce qu'ils ont envie d'y
comprendre. Trois ou quatre mots suffisent à suggérer des images
qui sont personnelles à celui qui les écoute. L'écriture
m'est très pénible car je veux telle image dans cette phrase musicale
précisément. Je n'écris les textes que lorsque le play-back
musical est enregistré. Les textes me viennent comme un puzzle; je sais
que telle phrase ira au début, telle autre à la fin et peu à
peu, le texte s'articule et commence à vouloir raconter quelque chose.
C'est un peu comme si on allait à la recherche de la vie de quelqu'un.
Je raconte ce que me dit la musique une fois que je suis devenu un auditeur comme
les autres".
-"Vous vous racontez dans
vos chansons ?"
-"Oui et non
Je reprends des éléments
que j'ai vécus, auxquels j'ai assisté, ne fût-ce que dans
la rue ou à la terrasse d'un café. On ne peut pas tout inventer
mais c'est vrai qu'intervient ensuite une grande part de mensonge et de théâtre.
Dans la bédé aussi, il y a ce mensonge permanent. Sur scène,
le mensonge commence quand on réalise des gestes démesurés
qui ne font pas partie de la vie de tous les jours. Je ne veux cependant pas faire
de show sur scène. Pour moi, faire un récital implique la rencontre
avec les gens qui se déplacent pour voir le chanteur. Il y a alors une
intimité qui se crée. C'est pour cela que je ne veux pas chanter
dans des salles de plus de 1000 personnes car je veux pouvoir rêver avec
les gens. Dans mon spectacle actuel, il y a 17 musiciens ainsi que des décors.
J'ai donc du choisir des salles plus grandes que d'habitude sinon la scène
devenait plus peuplée que la salle !"
-
"Avez-vous le sentiment de créer une uvre typique du XXe siècle
?"
- "Oui, fatalement ! Je n'ai pas envie d'écrire
pour le XXIe siècle ! Cependant dans certains conservatoires, on joue des
morceaux que j'ai composés pour quatuors à cordes. C'est peut-être
parce que des morceaux sympa à jouer, il n'y en a pas beaucoup. Dans la
musique ancienne, il y a le poids de la tradition de la culture et de l'école
et les morceaux de musique moderne sont souvent ingrats et difficiles à
jouer. Je n'ai cependant pas l'impression que la jeunesse d'aujourd'hui se retrouve
dans mes chansons. Je peux parler aux gens de 20 ans, mais ne peux souffrir des
mêmes choses parce que je n'ai plus 20 ans et n'ai plus les mêmes
angoisses que la jeunesse d'aujourd'hui. Cela ne m'empêche pas de m'intéresser
à ce qui se fait dans la rue. Mais je refuse de dire que j'ai compris les
problèmes de la jeunesse actuelle. Pourtant, je me sens plus proche des
gens de 20 ans, ou alors de ceux qui sont âgés de 80 ans que des
gens de ma génération. Les personnes âgées ont des
choses à raconter parce qu'elles ont vécu. Les gens de mon âge
font partie de la jeunesse de 68 ; c'est une génération d'aigris
qui se sont sentis frustrés à un moment car la crise économique
les a privés de toutes les futilités et facilités qui avaient
cours dans les années d'après-guerre jusqu'à la fin des années
60. C'était l'époque dorée et aujourd'hui, elle nous hante
et reste un mythe que l'on retravaille avec l'esthétique des années
80 comme si on avait conscience que cette époque aurait dû arriver
à quelque chose de génial qui a avorté. Cela dit, je ressens
une certaine agressivité à la vie d'aujourd'hui car on vit à
l'heure des foules. Je n'aimerais pas avoir 20 ans aujourd'hui !"
-
"Regrettez-vous vos racines américaines ?"
- "J'ai
un père américain comme d'autres ont un père espagnol. Mais
avoir des racines américaines fait plus chic ! Cela dit, je ne me sens
pas du tout américain, pas plus que français du reste ! Je me sens
moins latin que les Français qui se perdent en palabres, discussions, déjeuners
Tout dure des heures avant de prendre une décision. Si les Français
pouvaient avoir l'efficacité des Américains, ils accompliraient
de grandes choses ! Je me sens en fait de plus en plus proche de la mentalité
belge. Il y a en outre en Belgique une qualité de vie qu'on retrouve rarement
ailleurs. Bien que d'origine américaine, je n'aimerais pas vivre aux Etats-Unis.
Il m'arrive bien sûr d'y retourner
pour voir ma famille. C'est tout
"