France Dimanche N°1986
24 au 30 septembre 1984

Remarque : si la trame biographique respecte assez bien la vérité, pour le reste il est permis de penser que l'auteur a largement puisé dans sa fertile imagination !

Les vidéo-clips ont mis sa chanson Mon Dieu que j'l'aime dans toutes les oreilles
William Sheller
Sa grand-mère a forcé son destin grâce...à ses dons de voyance
(par Jean-Pierre Bernier)


Pour se faire découvrir du public, bien des artistes se livrent aux pires extravagances, se roulent sur scène ou adoptent des tenues incroyablement excentriques. William Sheller, lui, a trouvé le succès en chantant, immobile et sobre, assis à son piano.

Et son talent d’interprète et de compositeur lui a suffi pour se propulser au premier rang du hit-parade, pour mettre sa chanson Mon Dieu que j’l’aime dans toutes les oreilles et pour remporter à l’Olympia un triomphe durant toute une semaine.
Mais c’est le soir de sa « première », le 11 septembre dernier, que l’émouvant secret qui se cachait derrière sa gloire a été révélé. Ce mardi-là, William Sheller quitte la scène sous un tonnerre d’applaudissements et se précipite dans les coulisses pour prendre dans ses bras une vieille dame de soixante-dix-huit ans. Pleurant d’émotion, il l’embrasse sur les joues et lui avoue : « Tout ce qui m’arrive, Mamie, c’est à toi que je le dois ! »
Cette mystérieuse femme aux cheveux blancs, toute fragile dans sa robe noire, qui est-elle ? « C’est ma grand-mère, nous a confié le célèbre chanteur. Elle m’a encouragé, m’a guidé, m’a récompensé, elle a forcé mon destin, grâce à ses dons de voyance ! »
Et c’est vrai ! Les dons de voyance de sa grand-mère ont fait de lui une vedette.
Dés que William a cinq ans, sa « mamie », Mme Desbœuf, prend l’habitude de l’emmener tous les jeudis écouter des concerts et des opérettes au Théâtre des Champs-Elysées, où elle est ouvreuse. Elle lui montre aussi les coulisses.

Epoque 

William se souvient très bien de cette époque merveilleuse : « J’ai grandi, dit-il, dans les décors, les costumes, la magie du spectacle et les flots de la musique ».
Et, à huit ans, il annonce fièrement à sa mère : « Quand je serai grand, je serai compositeur de musique ».
Une décision qui n’est pas du goût de sa mère : son mari, le père de William, est contrebassiste de jazz et, malgré son talent, l’argent ne rentre pas toujours facilement à la maison.
« Tu n’y penses pas, s’exclame-t-elle, c’est un métier très difficile. Regarde ton père, il est toujours en train de courir le cachet. »
Les larmes aux yeux, William se réfugie dans les jupes de sa grand-mère, qui assiste à la scène.
Alors se produit un évènement extraordinaire.
« Mamie » prend la parole et déclare d’une voix assurée : « J’ai lu l’avenir du petit dans les cartes : à vingt ans, on parlera de lui dans les journaux ! Il faut lui laisser faire ce qu’il veut ! »
Les parents de William qui ont déjà constaté que les prédictions de « Mamie » se révélaient souvent exactes, s’inclinent. A partir de ce jour, Mme Desbœuf prend le destin de William entre ses mains : plus jamais, elle ne l’abandonnera.
A neuf ans, en plus de l’école, il suit les cours du Conservatoire où il apprend le piano, l’harmonie, le contrepoint. Il est si doué que ses professeurs lui prédisent une brillante carrière.
En revanche, au lycée, William est malheureux. Ses camarades se moquent de lui, le traitent de « Beethoven », et on le force à jouer au foot alors qu’il ne rêve que concertos et symphonies ! 
Si bien qu’un jour, quand il a quinze ans, il éclate devant son père et sa mère : « Je ne veux plus aller au lycée ! Je veux me consacrer à la musique ». « Mais c’est de la folie, lui répliquent ses parents, tu dois au moins passer ton bac ».
Comment sortir de cette impasse ? William qui n’ pas oublié l’aide de sa « mamie » sollicite de nouveau son appui.
Et, une fois de plus, Mme Desbœuf  met au service de son petit-fils ses dons de voyance.
« J’ai vu dans les cartes qu’il n’aurait pas besoin d’études pour réussir de la façon la plus éclatante, affirme-t-elle à sa fille et à son gendre. Cet enfant est possédé par une force qui triomphe de tous les obstacles ! »
Les parents de William s’inclinent encore.

Variété

Deux ans plus tard, le jeune prodige se prépare à recevoir la plus haute récompense attribuée à un compositeur de musique classique quand subitement, sa vie change de cap.
Il a entendu un disque des Beatles ! C’est un formidable coup de foudre ! A tel point qu’il annonce à ses professeurs scandalisés : « J’en ai assez du classique. Je veux faire de la variété. C’est plus vivant ! »
« Si vous renoncez mantenant, lui réplique-t-on, c’est du suicide. Avec le bagage que vous avez, vous n’allez tout de même pas faire le saltimbanque ! »
Pour William, c’est un choix difficile. Doit-il écouter la voix de son instinct ou celle de ses maîtres ?
Une fois de plus, il se tourne vers sa grand-mère. Elle consulte sa boule de cristal, cherche la confirmation dans les cartes et lui annonce enfin : « N’écoute que ton cœur, mon enfant. »
Aussitôt dit, aussitôt fait : finie la musique classique, vive les variétés !
William s’associe avec quelques musiciens débutants et donne des concerts dans les bases américaines de l’Est de la France.
 C’est l’époque des « vaches maigres ». Ils ne gagnent que cinquante francs chacun par soirée.
Parfois  même, les temps sont si durs que le petit groupe n’obtient pas d’engagements. Mais « Mamie » veille : elle trouve un emploi de dépannage pour son petit-fils, comme contrôleur au théâtre des Champs-Elysées.
Et quand William est par trop découragé, quand il doute de lui et de son talent, sa grand-mère ne cesse de le soutenir : « Ecris des musiques, lui dit-elle. Porte-les à des éditeurs. J’ai lu dans les cartes que le moment du grand démarrage était imminent pour toi ! »
La prédiction de Mme Desbœuf se révèle d’une stupéfiante exactitude : William va désormais voler de succès en succès.
Dés 1967, un groupe américain, « The Irresistibles », interprète les premières chansons écrites par William.
Puis il compose la musique du film Erotissimo et une messe pour le mariage d’un de ses amis. Celle-ci est enregistrée et la bande magnétique est communiquée à Barbara. La célèbre chanteuse l’écoute et téléphone aussitôt à William pour lui demander de faire des orchestrations pour ses propres chansons !
C’est le triomphe pour le compositeur. Mais bientôt, William va aussi connaître le succès comme interprète.
« Petit, tu devrais chanter toi-même ! » lui conseille Barbara.

Célébrité

Et c’est ainsi qu’il sort son premier disque, Rock’n’roll dollars. La célébrité est au rendez-vous. Comme l’avait annoncé « Mamie », à vingt-et-un ans, on parle de lui dans les journaux.
Depuis, le public ne l’a plus quitté.

Cartes

Mais, chaque fois qu’un problème se pose dans sa carrière éblouissante, il continue à se tourner vers sa grand-mère pour lui demander conseil.
En 1980, par exemple, il part pour les Etats-Unis enregistrer un disque. Mais, arrivé à Los Angeles, catastrophe ! Il ne trouve ni les bons musiciens ni un bon studio. A quinze mille kilomètres de « Mamie », il lui téléphone tout de même et lui demande : « Tire-moi les cartes, s’il te plaît. Je te rappelerai dans une demi-heure ! »
Quand il l’a au bout du fil, elle le rassure, comme à toutes les étapes de sa vie : « Dans quelques jours, tu vas voir venir un monsieur avec un chapeau. Accepte sa proposition, tu peux lui faire confiance. Grâce à lui, ton disque va se faire ! »
Effectivement, peu après, William rencontre un homme avec un chapeau : c’est le propriétaire d’un studio où le jeune chanteur enregistre Nicolas. Et c’est un nouveau triomphe ! 
Depuis, bien des années ont passé et si, comme sa grand-mère le lui avait prédit, William a pu réaliser son fabuleux destin, il ne s’est pas montré ingrat. Il lui a acheté une jolie maison près de Montfort-L’Amaury, dans les environs de Paris, où il vient, chaque dimanche, lui rendre visite. Là, pour elle seule, il interprète Mon Dieu que j’l’aime.