Libération N° 1032
14 septembre 1984
-Série de concerts à l'Olympia, 11 au 16 septembre 1984-

Un article tout à fait curieux écrit par un chroniqueur underground ouvertement toxicomane, alcoolique et clochard... Le style bizarroïde, les approximations et les fantasmes imbibés du rédacteur sont garantis d'origine !

Nightclubbing
Sheller de quoi ?

(par Alain Pacadis)

 


William Sheller, Dream Factory, Nicoletta, Marcel Carné, vodka, gin, téquila, mezqual,
rince-cochon, garcon ! Un dernier pour la route ! ...

C’était la fin du jour et je me dirigeais vers le métro Barbès en pensant à Marcel Carné qui pour un tournage avait reconstitué la station en studio. Je suis monté dans la voiture et je me suis endormi. Je me suis réveillé trois heures plus tard à la station Pigalle. Il était neuf heures du soir et j’allais être en retard à la générale de William Sheller à l’Olympia. Quand je suis arrivé la salle était dans la pénombre et William, vêtu d’une veste en patchwork psychédélique interprétait au piano : Simplement, sa nouvelle composition. Il était accompagné par un quatuor à cordes, le groupe Contrebasse (1). Les paroles de la chanson étaient d’une poésie évanescente, une histoire d’amour un peu triste quand celui qu’on chérit n’est plus là, et que tout pourrait recommencer « Simplement en te regardant/J’aurais tellement de choses à te dire» (2).
Durant la seconde partie du spectacle, William refit ses plus grands succès qu’on retrouve sur l’album live enregistré à ce même Olympia en 82. Symphomane (3) C’est un personnage que je connais très bien et que je voudrais vous présenter»), Un vieux rock’n’roll (4) qui revient comme un beat sourd (5) qui traîne dans la mémoire»), Le Cahier à spirale (6)Celui que l’on a tous eu dans notre enfance où nous faisions des collages à la gomme arabique») et Je suis pas bien (7) Quand tout va mal»).
Dans Les filles de l’aurore, William parle de ses amis noctambules, ces garçons de la première aube qui glissent leurs jambes frêles dans des jeans usés, et qui s’en vont au bar boire un dernier verre avant que le jour ne se lève. Le concert me plongeait dans une douce torpeur. William ayant troqué son groupe de rock’n’roll pour quatre musiciens belges qui savent aussi bien jouer du violon, que du violoncelle ou de la contrebasse.
En guest star, nous eûmes droit à la prestation scénique de Didier Odieu, jeune chanteur belge qui se cherche un style entre Jacques Brel et Lio. S’accompagnant au piano, il interpréta une chanson où il était vaguement question de suivre des lignes dans un champ labouré (8).
Le concert de William fut un triomphe. Sous l’ovation générale, il quitta la scène de l’Olympia pour aller boire un verre chez Marylin (le bar du backstage (9)). Là j’ai rencontré Nicoletta, qui m’a fait remarquer que sur le mur, sa photo avait été plastifiée avec celles de Brassens et Brel.
Nous avons continué la soirée aux Semailles (ancien Bœuf sur le toit), où Jean-Jacques Jouteux et René Salmon donnaient une soirée en l’honneur de William. J’y ai retrouvé Jacky qui lui aussi était tombé sous le charme de notre star qui se fait un chemin au travers de la chanson française, simplement.
Je me suis longuement entretenu avec les gens de Dream Factory qui m’ont déclaré que le tournage du clip de Sheller (10) avait été un véritable tour de force : un seul mouvement de caméra qui balaye une rue, un petit hôtel, monte un escalier, s’arrête dans une salle de concert peuplée de cent cinquante figurants…
J’avais envie de faire une interview avec William, mais il était tellement entouré, que je n’ai pas osé le déranger. Je me suis assis dans un coin avec Nicoletta et nous avons dessiné sur la nappe des profils dans le style de Cocteau qui il y a trente ans, avait lui aussi hanté Le bœuf sur le toit. Je pensais à Boris Vian qui, en ce lieu, lança le jazz à Paris. Au fur que la nuit s’avançait, je pensais à l’aurore, celle de la chanson de Sheller, une aurore mythique, où je me serais retrouvé avec lui et quelques autres garçons dans le bar d’un drugstore galactique, quelque part dans la voie lactée, je lui aurais offert un verre et j’aurais entrevu en songe la Babel de bouteilles que j’ai bues durant mes vies antérieures, une tour biblique de verres cristallins, des verres effilés de téquila qu’on accompagne de sel et de citron, des verres de vodka qu’on boit dans la rue, des gin tonic sur le zinc, des digestifs genre cognac, des demis aux portes de backroom, des remettez-moi-ça-garçon un peu honteux, des gourdes de mezcal à Guarnaraca… et toutes ces bouteilles se sont entrechoquées, se sont brisées : le verre éclatait sur les murs de métal. C’est Nicoletta qui m’a tiré de ma rêverie.  Un vieux monsieur me tapotait l’épaule, il devait avoir dans les soixante-dix ans, il m’a dit qu’il avait beaucoup entendu parler de moi et qu’il était charmé de faire ma connaissance, c’était Marcel Carné, celui qui avait mis en scène Le jour se lève.

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William Sheller, jusqu’au 16 à l’Olympia, à 20 h 30.
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Notes du site : 
1) Le quatuor à cordes qui accompagnait William Sheller s’appelait «Le Quatuor Halvenalf». L’Orchestre de contrebasses intervenait seul dans la seconde partie du spectacle.

2) La vraie citation est : «Simplement/En te regardant/J’aurais presque l’envie de te suivre ». Vu l'explication, le chroniqueur n'a visiblement pas tout compris dans la chanson... mais il devait être encore mal réveillé !
3) Symphoman (sans e).
4) Dans un vieux rock’n’roll.
5) En bon français, un battement sourd.
6 ) Le Carnet à spirale.
7) J’suis pas bien.
8) Cette chanson de Didier Odieu s’appelle Le tracteur. Elle a été enregistrée en live lors de ce concert et parue sur 45 t.
9) Ou pour dire plus simplement, le bar des coulisses de l’Olympia qui était tenu par une dénommée Marylin.
10) Le clip de Mon Dieu que j’l’aime, produit par la firme belge Dream Factory.