Propulsé très vite
dans l'industrie du show-business, il a décidé de refuser les concessions
pour vivre son métier-passion comme il l'entend. Pour se sentir vraiment
lui-même, en accord parfait avec lui-même. Une évolution intelligente,
couronnée de succès populaire, et ce sans déclaration fracassantes,
sans promotion forcée.
Sans doute cela n'a-t-il été possible
que parce qu'il pouvait compter sur un nom déjà confirmé
- il l'avoue volontiers -, mais combien d'artistes bien assis dans leur renommée
accepteraient comme lui d'assumer de tels risques au lieu de se contenter de tirer
sur la même corde jusqu'à ce qu'elle s'élime ?
Parce que
William Sheller est un musicien et un compositeur hors-pair, parce que ses textes
sont subtils et sensibles, parce qu'il sait s'entourer de gens de qualité,
le spectacle qu'il présente est riche en émotions et, surtout, marqué
du sceau -trop rare, paradoxalement, dans ce métier de communication-,
du contact avec le public...
Avec ce sens du contact humain
(et des orchestrations beaucoup plus sobres que celles de ses disques), William
Sheller offre sur scène une nouvelle écoute de ses chansons. C'est
qu'il ne s'agit pas, pour lui, de confondre la fin avec les moyens, à savoir
la scène avec les disques; si l'un doit être au service de l'autre,
c'est bien la galette de vinyle au service du spectacle vivant. Et non l'inverse.
Sheller sera ce mois-ci à l'Olympia du 11 au 16. Il revient pour la
seconde fois dans le temple parisien de la chanson - à l'époque
de l'électronique, de l'omniprésent et tout puissant synthétiseur-
en compagnie d'un simple quatuor à cordes ! Un deuxième passage
qui le confirme comme une valeur sûre de la chanson française, et
prouve -si besoin était encore-, qu'il existe toujours des artisans de
la musique et des mots qui préfèrent, à l'artillerie lourde
du showbiz, le verdict de la sensibilité populaire.
-"Quel
a été ton parcours, depuis l'orientation classique de tes débuts
jusqu'à ton succès dans la chanson ?"
- "Autant
que je m'en souvienne, j'ai toujours su que je ferais de la musique. Mon grand-père
était décorateur à l'Opéra de Paris, mon père
était contrebassiste de jazz, si bien que de nombreux artistes et musiciens
défilaient à la maison. A l'Opéra j'assistais aux spectacles,
non pas de la salle mais du haut des cintres, au-dessus de la scène ! Tout
naturellement j'ai eu envie d'écrire de la musique, et avec l'accord de
mes parents j'ai fait des écoles de musique...
Et puis je me suis fait
embringuer dans des écoles de musique moderne, "moderniste",
"futuriste", "dodécaphoniste", "aléatoire",
"concrète"... mais ce n'était pas mon truc, je n'y étais
pas heureux, alors j'ai voulu faire de la musique tonale, avec des harmonies,
de l'émotion, avec des choses à donner, des images et tout. J'ai
lâché les professeurs, abandonné la course au prix de Rome,
j'ai fait mon entrée dans la variété. J'ai commencé
par jouer dans un groupe de rock, pour trois francs six sous dans les bases américaines;
j'écrivais déjà des chansons, mais on les trouvait bizarres
et je n'arrivais pas à les placer. J'ai fait aussi quelques petits travaux
d'orchestrations pour des âneries, des publicités... Enfin j'ai connu
une espèce de succès avec My year is a day, une chanson que
j'avais écrite pour un groupe qui s'appelait "Les Irrésistibles".
Il y a de ça des lustres !"
-"C'est
ce qui t'as permis de continuer ?"
- "Oui;
avec l'argent que cela m'a rapporté, j'ai écrit une sorte de messe
hyper-symphonique avec groupe de rock, choeurs... pour des amis qui se mariaient.
Quelqu'un l'a fait écouter à Barbara qui m'a alors demandé
de lui écrire ses orchestrations ! Enorme chance !
Je suis allé
travailler avec elle, et lorsque j'ai commencé à bien la connaître,
je lui ai chanté mes propres chansons... et c'est Barbara, la première,
qui m'a dit : "Tu devrais les chanter toi-même, au lieu d'essayer
de les placer".
-"Tu les
as présentées alors à des maisons de disques ?"
-"Oui,
et l'une d'elles m'a aussitôt fait signer un contrat. Ridicule d'ailleurs,
un contrat de sept ans avec des clauses épouvantables... Mais j'ai enregistré
un premier album avec des chansons que j'aimais bien, et une que j'avais écrite,
histoire de me moquer un peu du show-business, qui disait en substance : "Donnez-moi
du fric et je deviendrai une star". C'était Rock'n'dollars.
On en a fait un 45 tours qui est souvent passé en radio et a bien marché.
Mais à partir de là, je me suis trouvé prisonnier d'une espèce
de créneau auquel j'étais censé appartenir et qui impliquait
que je devais chanter des choses drôles !
Cette histoire m'a collé
après comme une casserole aux fesses, avec la maison de disques qui, chaque
fois, me demandait de refaire la même chanson ! C'est à partir de
là que j'ai commencé à apprendre le métier, à
le connaître, en fréquentant les radios et les télévisions".
-"Jusqu'à
ce que tu décides d'interrompre provisoirement ta carrière. Pour
faire le point ?"
-"Oui, j'ai fait un "break"
d'un an, pour me détacher un peu des gens du métier et me permettre
de redémarrer d'une autre manière. Maintenant je me sens mieux dans
ma peau".
-"Le
métier, qu'est-ce que cela signifie ? des
obligations, des contraintes ?"
-"Des
pièges dans lesquels on tombe quand on manque d'expérience. Au niveau
de la promotion par exemple. A l'époque, j'avais un attaché de presse,
dont le travail consiste à "placer" l'artiste dans les magazines
: plus il obtient d'articles et mieux il se fait voir, alors il essaie de le placer
n'importe où. C'est comme ça que je me suis retrouvé dans
des journaux de minettes, genre Salut, OK magazine... Une fois,
un magazine m'a proposé un voyage en Ecosse pour faire des photos, on m'a
affublé d'un kilt pour visiter un château, et à la fin j'ai
serré la main du gardien, simplement pour le remercier de la visite, pour
lui dire adieu. Quelques semaines plus tard, le journal sort avec ce titre : "Grâce
à notre magazine, William Sheller retrouve son grand-père !"
J'ai aussitôt appelé le rédacteur-en-chef, qui m'a répondu
: "Mais c'est marrant, ça ne t'amuses pas? Ça ne fait rien,
ne t'inquiètes pas, ça plaît, ça fait vendre !"
C'est vrai que ce n'est pas assez grave pour dire : "Ou vous retirez ça
ou je vous fais un procès !", mais c'est à cause de ce
genre de choses que j'ai décidé de rompre avec ce milieu. Pendant
un certain temps, ça a été l'enfer, je passais mon temps
entre les séances de poses pour les magazines et les interviews pour les
radios périphériques... ou encore les signatures de disques dans
les supermarchés : on vous installe à un endroit bien précis
du supermarché, de manière que les gens passent devant les disques,
devant les produits qu'on a envie de vendre. Moi, j'ai vu arriver des gens qui
venaient d'acheter deux albums pour me les faire signer, mais je leur aurais donné
mille francs pour qu'ils s'achètent une paire de godasses plutôt
que ces disques... ça je l'ai fait une fois, mais pas deux !"
-"Revenons-en
à l'actualité. Peux-tu nous parler de ton dernier disque ?"
-
"J'ai tout essayé pour le faire traîner, je ne voulais pas qu'il
sorte, parce qu'en fait c'est un album qui n'est pas terminé !"
-"C'est-à-dire
que nous achetons un produit
avec lequel tu n'es pas d'accord ?"
-
"Finalement, c'est ça... Il faut dire que ça va tellement mal
dans le disque que la maison chez laquelle j'enregistre a décidé,
comme la plupart, de sortir maintenant des albums de six titres. Mais moi j'avais
préparé ma douzaine de titres, et lorsque le sixième a été
enregistré, on a annulé les séances de studio suivantes que
j'avais réservées ! Si bien que le disque qui est sorti est, pour
moi, un disque inachevé".
- "Ne
pouvais-tu pas obtenir gain de cause ?"
- "Il aurait fallu
recourir à un procès qui aurait pu durer plusieurs années
pendant lesquelles je n'aurais pas enregistré, alors j'ai préféré
laissé passer. Mais en affirmant bien haut que je dirai partout que le
disque est sorti inachevé. De fait, comme il n'y a pas eu de déclaration
préalable des maisons de disques annonçant que leur nouvelle politique
serait désormais de sortir des albums de six titres seulement, les premières
personnes de la presse que j'ai vues m'ont accusé de manquer d'imagination
! Quand c'est la maison de disques qui manque de sous..."
- "Depuis quelques mois, au Printemps de
Bourges, en Belgique, tu tournes accompagné d'un quatuor à cordes.
Cette formule peut surprendre lorsqu'on pense aux orchestrations sophistiquées
de tes disques...
- "Je veux simplement montrer que le disque
et la scène sont deux choses tout à fait différentes; déjà
en 82, j'avais fait l'Olympia en partie seul au piano... Pour moi, enregistrer
des disques n'est qu'une partie de mes activités, je ne me sens pas assujetti
au produit-disque et cette année encore, je tiens à le démontrer
avec ce quatuor à cordes... bien que l'on me considère comme un
fou.
Il faut montrer aux maisons de disques qu'un artiste peut aussi bien exister
sans disque, sans matraquage radio ou magazines à la mode. Il suffit simplement
de proposer quelque chose d'humain aux gens, qui sorte du cadre du show-business.
Après le Printemps de Bourges, on a fait seize concerts en Belgique avec
"Halvenalf", sans le moindre appui de la maison de disques, mais tous
à bureaux fermés !"
- "C'est la preuve, en effet, que l'on
peut rompre la spirale du showbiz : disque-promotion-scène, et que cette
dernière peut apporter autre chose au spectateur que la fidèle reproduction
du disque qu'il connaît..."
-
"Oui; traditionnellement on sort un album avant l'été [rires] -je rigole parce que c'est mon cas, mais c'est involontaire-, on se lance dans
une promotion radio-télé, à la rentrée on fait une
grande salle parisienne, et enfin on effectue une tournée pour promotionner
le disque à travers la France, la Suisse, la Belgique, le Québec,
si possible. C'est-à-dire que l'artiste est lié d'abord et avant
tout à son disque ! "
- "Alors que la chanson vivante, par définition,
c'est le spectacle avant tout, le contact humain..."
-
"Pourtant la conception showbiz de ce métier fait que les artistes
se sentent obligés de chanter toutes les chansons de leur nouveau disque,
au lieu de mettre au point un véritable spectacle, de concevoir un travail
spécifique pour la scène, pour créer le contact avec les
gens. Mais c'est en train de changer, on commence à distinguer le travail
du disque de celui de la scène; tant mieux pour l'artiste si on lui propose
d'enregistrer, mais il peut s'en passer, il peut exister sans la maison de disques.
Il y a des tas d'artistes qui tournent sans être soumis à cet engrenage
qui consiste à sortir d'abord un disque, à demander à une
station de radio périphérique ce qu'elle en pense, quel titre elle
voudrait passer, selon quelle fréquence de diffusion, par jour ou par semaine..."
- "Comment s'effectue la sélection
des chansons que diffusent les stations de radio?"
-
"Au pif et de façon autoritaire, parce que les animateurs n'ont pas
leur libre arbitre : ce qu'ils peuvent choisir se résume à deux
ou trois titres à glisser dans la sélection du chef-programmateur.
Il faut dire qu'en France, quatre personnes ont fait le métier pendant
des années, il s'agit des