Le Soir
3 février 1983
- Concerts piano-solo au Théâtre 140 de Bruxelles du 2 au 5 février 1983 -

William Sheller au 140 :
seul, mais nous tous avec lui...

(par Catherine Degan)

 


Il y a des jours comme ça où l’on a l’âme à la tendresse. Des jours où la forêt, sous tempête, dégorge comme un avant-goût de printemps. Des jours où l’on se croit des antennes, les sens exacerbés, toutes les fibres en éveil. Il y a des soirs lyriques, des nuits de grâce. Il y a des jours comme ça où l’on sait déjà que l’on va aimer les gens -tous ceux qui voudront se laisser aimer-. Et lorsqu’un Sheller débarque au beau milieu de ces tentations-là, comment voulez-vous que l’étincelle ne se fasse pas ?


Nous devions être nombreux, au «140», à avoir l’âme tendre. Il ne fallut pas bien longtemps au jeune homme blond et rouge pour s’en apercevoir, pour s’en emparer. Encore fallait-il qu’il en fasse bon usage. Mais il en fit…tellement mieux que ça. L’année dernière pourtant, sur cette même scène, entouré de tous ses musiciens «supplémentaires» comme il dit, il n’avait fait que passer, fragile, trop fragile, si ténu dans ses chansonnettes, dans ses musiquettes, qu’on l’avait rangé sans ambage au tiroir des zakouskis «new look».

Aujourd’hui, malgré sa démarche de canard, son allure de clown triste, son trac empêtré, c’est seul au piano qu’il prend enfin toute sa mesure, son envol, sa dimension frémissante et palpable. Dimension d’une chanson «toute crue, telle qu’elle sort» (comme il dit encore), qu’il détourne et métamorphose en musique ; en musiques, plurielles, entremêlées, pour les imposer comme autant d’évidences à nos oreilles pourtant (dé) formées «chanson». Les mots n’ont plus de sens, ou tellement, les sons se roulent en boule, s’étirent, s’offrent et s’évadent, nous prennent par la main, charmeurs, séducteurs, sorciers, jusqu’aux confins d’une cosmographie strictement sensuelle où le reste du chemin nous appartient.

Sheller, c’est une pluie fine et tiède sur les jardins secrets, un rai de soleil par les portes entrebâillées, une douceur lancinante, funeste, rigoureuse et pourtant libérante, porteuse de tous les imaginaires flous. Sous l’emballage d’orfèvre, cherchez le «sacré et le préoccupé» -comme chez l’un de ses petits frères qui pourrait s’appeler Alexandre Révérend-. Jeunes gens de bonne famille (classique), de belle composition (solide et vertueuse), dont les lignes harmonieuses mènent irrésistiblement aux traverses, aux bonheurs incertains, aux malheurs incernables, aux peut-être… La «nouvelle chanson française» ? Une marque de savonnette qui ne les a pas récurés.
William Sheller ? Un pur esprit, à fleur de peau. Une petite merveille.