Il a des idées à « mordre la peau du soleil », Sheller, mais il se garde bien de les exprimer avec la fougue poétique qui les rendrait lisibles. Il préfère au contraire l’ellipse, l’allusion, la nonchalance élégante. On le voit errer de-ci, de-là à de vagues occupations, lire de vieilles lettres, marcher tout droit, chercher l’amour dans des jardins, regarder la nuit qui monte des arbres, etc.
Mais J’suis pas bien dit quelle incertitude et quel malaise habitent la feinte indolence. En réalité, caché derrière ses musiques toujours efficaces, Sheller est un inquiet poli, un tourmenté discret, un jongleur de demi-vérités. Le texte de Un endroit pour vivre raconte tout ça, ce mal de vivre, la délicatesse à la peindre, comment « On m’a jamais dit viens, on m’a dit va où tu veux », et comment, derrière l’errance, se cache l’envie de quelque chose de « pas forcément facile ».
Sheller se fait passer pour le roi du bubble gum qui chante I love you, mais il supplie qu’on ne le « laisse pas rouler comme une bille autour de la terre ». Il nous apparaît peu à peu comme manipulateur des chansons qui plaisent sans effrayer, comme montreur de riens colorés -« J’déambule tout bas gentiment inutile »- qui, si on le veut, peuvent s’ouvrir comme un cœur.