En attendant N°11
novembre 1978

William Sheller ne fait pas la chanson...
(par Daniel Verhoeven)



« La musique est l’art de décorer le silence des autres, mais il ne doit pas exister une seule manière de le faire. Pas de limites, pas de chapelles ! Peu importe que l’inspiration vienne du Classique, du Rock ou de la Variété. Je crois également qu’il faut le plus souvent possible injecter une bonne dose d’humour à la musique. C’est parfois ce qui lui manque le plus ! »

Cette explication de William Sheller donne une vue assez exacte de la démarche quelque peu déroutante de ce chanteur dont la caractéristique principale est d’être inclassable dans la production actuelle. A 32 ans, Sheller est l’exemple même du gars qui possède ces qualités qui manquent le plus souvent à la chanson française pour la rendre crédible : l’intelligence et l’humour. Et s’il n’a pas vraiment pris la place cruellement vide de Dutronc -il s’en faut de beaucoup-, il a par contre bel et bien créé un style. Mais style ne veut pas dire uniformité. S’il fallait trouver un synonyme, c’est unité qu’il faudrait employer.
De formation classique, il a rompu très jeune avec cette forme de musique (il y reviendra plus tard) pour se lancer à fond dans le rockandroll de l’époque : Beatles, Stones, Who… A ce moment, il entre comme chanteur dans un groupe, mais c’est en tant qu’arrangeur et compositeur qu’il commence à se faire connaître. En 1968, c’est My year is a day, pour les Irrésistibles, et en 1969, il compose la musique du film Erotissimo dans lequel jouait Jean Yanne…En 1970, il écrit une messe pour deux amis et la leur offre comme cadeau de mariage. (Elle ne sortira qu’en 1972 chez C.B.S, tous ses autres disques sont sur Philips) sous le titre Lux aeterna. C’est un succès d’estime mais il permet à Sheller de s’imposer comme compositeur et sert à la fois de catalyseur : désormais, il s’attachera à synthétiser les diverses influences musicales qu’il a subies pour réaliser l’idée qu’il s’est faite d’une bonne musique populaire. Alain Suzan, son bassiste, à l’époque leader du groupe Alice, l’y aidera. Avec Patrick Gandolfi, ils vont former un triumvirat autour duquel gravitera la crème des musiciens français de studio, mais ce n’est qu’en avril 1975 que sortira le premier L.P. de William Sheller chanteur : Rock'n'dollars. Vous avez tous entendu « Donnez-moi Madame, s’il vous plaît, du ketchup pour mon hamburger… » Mais ce ne sera pas la seule chanson extraite de l’album à rencontrer le succès : Photos-souvenirs, La fille de Montréal, Oncle Arthur et moi, illustrent toutes qu’il n’est pas qu’une manière pour « décorer le silence des autres ».

Pourtant, son deuxième 30 cm., Dans un vieux rock’n’roll, déçoit quand il sort en mai 1976. Ni les mélodies, ni les textes, ni les arrangements, toujours signés William Sheller, ne présentent un réel intérêt, et l’album n’est que l’ombre de son aîné. Comme le restant de la critique et du public, je m’en désintéresse alors totalement, et son troisième L.P., Symphoman, en souffrira beaucoup. Il en souffrira parce que, à l’instar de son 45 T. J’me gênerai pas pour dire que j’t’aime encore, il est la preuve que William Sheller n’est pas de ces gens qui se prétendent artiste et font à ce titre de l’Art avec un grand « A » qui est, comme il se doit, un bloc rigide, naturellement agonisant et desséché, à mettre sous verre et sous vide pour éviter la contamination.
C’est sans doute pour cela qu’il n’a pas peur de travailler avec d’autres chanteurs connus, pratique courante en « Angle-Saxe » mais peu commune dans nos régions, ce qui s’est surtout concrétisé jusqu’à présent par une collaboration accrue avec Catherine Lara pour qui il est occupé à écrire ce qui pourrait bien être la suite de Lux aeterna. Les mauvaises langues diront que ce ne sera pas pour deux amis cette fois mais bien pour… petits coquins, petits coquins !