De
lui à vous...William Sheller, une discussion à bâtons rompus
avec un «Symphoman»
On voulait
faire une interview, une de plus; elle n'a pas eu lieu; on n'interviewe pas William
Sheller, on parle avec lui : de petits riens, de grands projets... l'ambiance
est très «relax». Il fait soleil, le photographe a posé
ses appareils... on est bien.
LES LIEUX :
«Ici ? Ce sont les bureaux que l'on a loué pour loger notre société
d'éditions musicales et de production. Tu vois, on commence tout juste;
on n'a même pas fini de meubler les pièces. On va essayer de produire
des musiciens qui ne se sentent pas forcément à l'aise dans les
grandes "boîtes", des musiciens de talent, sans sectarisme aucun.
Comme on débute, on n'a produit qu'un disque pour le moment, celui d'Alain
Goldstein; il avait signé de nombreuses mélodies, sur les albums
de Michel Jonasz. Aussi, Michel Jonasz a écrit les textes sur le disque
d'Alain... On a d'autres projets, mais ils en sont encore au stade de la négociation...»
LES
INFLUENCES :
«Mon père, aux USA, était
musicien de jazz; il venait souvent des musiciens à la maison : Dizzy Gillepsie,
Kenny Clark... et je devais me taire lorsqu'ils jouaient; c'est peut-être
pour ça que j'ai toujours eu horreur du jazz. Après nous sommes
venus en France; mon grand-père travaillait à l'Opéra; je
regardais les spectacles des ceintres, des coulisses. J'ai toujours eu envie de
faire de la musique et j'ai commencé à jouer du piano à 11
ans. J'ai continué le piano classique pendant de nombreuses années...
jusqu'à ce que j'entende les Beatles. Là, j'ai compris que quelque
chose de grand était en train de naître. Alors j'ai tout laissé
tomber... Mon professeur m'a dit : "Vous n'allez tout de même
pas faire le saltimbanque ?"»
LA
MUSIQUE CLASSIQUE :
«C'est une musique fantastique
mais sclérosée... parce que les gens qui l'enseignent et qui l'interprètent
portent des cols durs, des costumes empesés, et trimballent un sérieux
stérilisant. Ils ont oublié que de tout temps, il y a eu des gens
qui s'éclataient en composant de la musique et d'autres qui s'éclataient
tout autant en l'écoutant. Berlioz se droguait et buvait; il traînait
avec Verlaine et toute la bande... Tu connais ce que raconte La Symphonie
fantastique ? Non ?, et bien, c'est l'histoire d'un gars qui se suicide en
se droguant à l'opium; aussi, pendant vingt minutes, le type fait un voyage,
celui qu'on effectue quand on est «stoned». Ce sont des choses que
l'on ne dit pas dans les académies de musique.
Il y a dix manières
différentes possibles de jouer un morceau classique, et l'on voudrait faire
croire qu'il faut l'interpréter de telle façon, à l'exclusion
de toutes les autres. Moi, je peux te jouer une sonate de Beethoven de la façon
«officielle» et tu vas t'ennuyer, mais je peux aussi l'exécuter
d'une toute autre manière... et là, le morceau reprend vie.»
LA
SCENE :
«J'en fait très, très peu. En
fait, depuis 3 ans, je n'ai strictement rien fait dans ce domaine. La raison en
est simple : ça ne me branche pas du tout de courir la France avec juste
quatre musiciens derrière moi. Actuellement, j'écris un spectacle
que je compte monter à Paris avec des amis, quelque chose d'intermédiaire
entre le café-théâtre et le concert traditionnel. Ce sera
un spectacle original, mais qui gardera des aspects très «cheap»,
pas de lasers, de fumées, de... L'important, c'est la salle; il faut un
lieu où l'on puisse créer une ambiance; je ne veux à aucun
prix de l'Olympia, par exemple. On m'a parlé du sous-sol de La Coupole,
où paraît-il, il y a une grande salle avec une scène... Je
vais aller voir...»
LES GALERES :
«J'ai connu ça moi aussi. Je me souviens en 1966, je jouais
dans un orchestre et l'on faisait la tournée des bases américaines;
c'était la folie; il y avait un G.I. complètement plein, qui voulait
que je lui joue Yesterday pour la 158e fois; et les autres n'étaient
pas d'accord, d'où engueulades et bagarres. Dans un autre genre, il y a
mon passage dans la première maison de disques où j'ai travaillé;
parfois, il fallait faire trois chansons en 3 heures, et l'on n'était maître
ni des arrangements, ni des orchestrations: l'usine à tubes quoi.»
FUNNY,
ISN'IT? :
«Il y a quelques années, je voyais
souvent Gérard Manset; on faisait des chansons ensemble; ensuite, on les
déposait chez un éditeur. Un beau matin, l'éditeur me dit
: "Tiens, je t'ai placé une chanson ! " C'est Dalida
qui l'avait achetée; tout le monde l'ignore, mais il y a une chanson de
Dalida qui est signée Manset-Sheller... Je reviens du Japon; j'y suis allé
en tant qu'arrangeur et également parce que La bière y était
bonne y sort en 45 t. L'organisateur de l'émission de télé
où nous devions passer, nous a royalement laissé une demi-heure
pour répéter la chanson, par contre, il a pris l'après-midi
pour régler les mouvements de caméra; il faut dire que la concurrence
est sévère entre les chaînes; en comptant les chaînes
locales, il y a 120 canaux de télé au Japon... L'agglomération
de Tokyo est déconcertante, ne serait-ce que parce que les panneaux indicateurs
sont tous écrits en japonais. Et puis le Japon, c'est toujours le pays
du gadget. D'ailleurs regarde...» (De fait un petit D2R2, célèbre
robot de La Guerre des étoiles, se met à zigzaguer en clignotant
sur le bureau de William).
LES INTELLECTUELS
:
«J'ai toujours eu de bonnes critiques dans la presse
rock. Pourtant à chaque fois, on me dit : "C'est bien ce que tu
fais, mais tu pourrais faire mieux, alors pourquoi tu ne le fais pas ?".
En fait, en France, il est très difficile d'être pris au sérieux
si on ne fait pas des chansons avec un M-e-s-s-s-s-s-s-a-ge;
les gens se prennent trop au sérieux et ne comprennent pas qu'on puisse
faire de la musique juste pour le plaisir. Maintenant, c'est tout juste si on
ne se cache pas pour aller acheter les disques qu'on aime. En fait, ce que certaines
personnes ne me pardonnent pas, c'est d'être programmé à la
radio; je ne suis pas le seul à subir ce phénomène; ainsi
pour Pink Floyd, sitôt que le groupe a atteint une audience grand public,
l'intelligentsia qui s'en gargarisait depuis le début, a tourné
casaque en disant que le Floyd sombrait dans la soupe.»
LA
MUSIQUE FRANÇAISE :
«En France, il y a environ
soixante-dix pour cent de personnes qui ne s'intéressent pas du tout à
la musique. Cela est peut-être dû au fait qu'il n'y a pas de grande
tradition musicale en France. Peut-être aussi parce que la France n'a jamais
eu de grands musiciens; à part peut-être, Debussy, Ravel et Charles
Trenet. Il n'y a jamais eu un Français qui a révolutionné
la musique, comme les Beatles pour l'Angleterre ou Beethoven pour l'Allemagne.»
LE
DEFI AMERICAIN :
«Je n'ai jamais été
tenté d'aller enregistrer à Los Angeles ou à Nashville. Moi,
je me bas pour la musique européenne. Il y a en France d'excellents musiciens;
et il commence à y avoir de très bons studios. Alors, il n'y a pas
de complexe à avoir. Souvent, des groupes viennent me voir en me disant:
"Nous faisons du hard rock, genre Aerosmith, ou de la progressive pop,
style Genesis". Ce n'est sûrement pas la bonne voie, ce n'est
pas en copiant que l'on arrivera à quelque chose. Il faut essayer de créer
une musique authentique et vraiment originale.»
BUSINESS
:
«Je suis sur deux marchés à la fois.
Celui des 45 t et celui des 33 t. Je dois dire que je vends plus de 45 t. que
de 33 t; mais l'un dans l’autre, les deux marchent bien. Je compte continuer
comme cela; je viens de sortir J’me gênerais pas pour dire que
j’t'aime encore, à la rentrée, je referai encore un simple,
et puis j’attaquerai un nouvel album.»