Le patrimoine artistique
de la famille Sheller constitue un héritage qui se transmet de génération
en génération. Ses grands-parents : lui est décorateur
à l’Opéra; elle douée de pouvoirs extraordinaires.
Son père traduit et écrit des livres. Quant à lui, il allie
la musique et l’écriture…
En
aucun cas, William Sheller n’aurait voulu contrarier les prédictions
de sa grand-mère. «A ma naissance, elle avait affirmé
devant les yeux incrédules de mes parents qu’ils n’arriveraient
jamais à s’opposer à mes envies et à mes ambitions.
Elle leur disait : "A vingt ans, on parlera de lui dans les journaux".
Ces dons de voyance se sont confirmés puisque nous sommes réunis
pour parler de moi.» Comme beaucoup d’artistes, Brigitte Bardot et
Jean Rochefort entre autres, il a choisi de vivre un exil doré à
la campagne au lieu d’affronter l’environnement pesant de Paris. Indépendamment
de tout snobisme, de toute idée de retour à la nature, il possède
à Montfort-L’Amaury de solides attaches. Un passé qui est
celui de son adolescence au milieu des forêts et des champs, mais aussi
parmi les élèves d’un collège réputé
pour son règlement intransigeant. «Je me souviens, dit-il,
d’un professeur d’origine basque qui nous faisait tous rire à
cause de son accent.» Né à Paris, William Sheller dut
à l’instabilité de ses parents de se retrouver aux USA. Dans
l’Ohio, il vit l’enfance de tous les petits Américains avant
de rejoindre Paris, puis Montfort-L’Amaury. La route qui le mène
de sa maison au centre de la ville est peuplée de souvenirs précis.
«Je partageais les jeux de mes copains de classe ou du voisinage. Dans
les bois, nous construisions des cabanes dont l’armature était faite
avec les magnifiques fougères. Chaque camp délimitait son territoire
et gare à ceux qui se risquaient en terrain ennemi. L’armistice se
signait toujours près d’un lac majestueux qui accueillait chaque
dimanche les pêcheurs de brochets. Souvent, lorsque je suis en mal de solitude,
je viens goûter le silence de ce lac, à peine troublé par
les bonds miraculeux des poissons et le chant des oiseaux».
Son
enfance, c’est aussi le village de Montfort, «des rues pavées
qui malmènent les vélos. Le centre de ce gros bourg a conservé
son caractère médiéval. De tout temps, cette région
a attiré les artistes. La maison de Maurice Ravel, transformée en
musée, attire bon nombre de visiteurs. Victor Hugo fit construire également
là l’une de ses nombreuses résidences.» Sur la
route qui serpente jusqu’à chez lui, il a de nombreux points de repère.
«C’est, précise-t-il, à cet arrêt
de bus qu’un jour j’ai décidé que je serais musicien,
célèbre si possible.»
A 10 ans, il manifeste
le désir d’apprendre le piano. Ses parents y voient le premier signe
des visions de la grand-mère. Deux ans plus tard, il compose ses premiers
morceaux. Il commence sa foudroyante escalade vers la connaissance musicale. Composition,
orchestration, harmonie. Il parcourt avec un fougue et un talent précoce
toute l’étendue du clavier. Il bénéficie en plus d’un
environnement familial propre à faciliter son épanouissement. «Mon
père, passionné de jazz, avait pour amis les plus grands musiciens
américains. De passage à Paris, ils donnaient à la maison
des concerts gratuits. Grâce à mon grand-père, décorateur
au Théâtre des Champs-Elysées et à l’Opéra,
je pouvais hanter à loisir les coulisses et m’initier à la
musique de Mozart, Wagner, Chopin.» La fascination exercée par
ces illustres compositeurs n’allait pas résister longtemps à
la vague déferlante de la musique «pop», et à l’avènement
des Beatles. Help, annonce la rupture avec ses études classiques.
Il se lance à corps perdu, vers sa nouvelle passion. La suite demande un
effort de mémoire.
1968. Un groupe, Les Irrésistibles,
se hisse en tête des hit-parades, grâce à My year is a
day. Son succès sera éphémère, mais le monde
de la chanson découvre le talent du compositeur et de l’arrangeur.
William Sheller, dix ans après, a évolué au rythme de sa
musique. Dans le calme de sa campagne, il compose pour lui et pour les autres,
Françoise Hardy, Catherine Lara. A Montfort, il a choisi une demeure de
style étonnamment américain. L’aménagement en est confortable
et le jardin bien entretenu, étale sa verdure et ses fleurs multicolores.
«C’est une maison que j’ai louée telle qu’elle
était, avec ses meubles et sa décoration. J’aime m’installer
dans un endroit où tout est prêt pour vous recevoir. C’est
la raison pour laquelle j’apprécie de me retrouver parfois à
l’hôtel».
Chez lui, résident en permanence
ses compagnons à quatre pattes. Un chat au pelage gris cendré s’étire
langoureusement sur le divan, tandis que Sophie et Road, les deux chiens, gambadent
à l’extérieur, essayant d’aguicher le hamster qui pointe
son museau entre les barreaux de la cage. Il en manque un à l’appel :
Henry le vagabond. «Henry représente une énigme. C’est
un chien que nous avons trouvé et adopté, mais qui continue néanmoins
à vivre sa vie, faite de fugues et de retours surprenants. C’est
le clochard de la région. Il sillonne les environs dans un rayon de soixante
kilomètres. Les premières fois, je le croyais perdu et je promettais
une forte récompense à qui le ramènerait. J’ai très
vite compris que ce petit jeu me coûterait une fortune. Pourquoi aller contre
nature, Henry est heureux comme ça. Il connaît tout le monde. Les
gens lui donnent à manger. Pour remercier les plus accueillants, il reste
quelques jours et puis s’en va. Alors, au hasard d’un marché
matinal, on peut rencontrer Henry le chien… ou Brigitte Bardot la star,
foulard sur la tête et panier au bras. Elle fait ses courses discrètement,
saluant ici et là les pompiers de la proche caserne ou le facteur en tournée.»
Même s’il «monte» quotidiennement à Paris, William
Sheller ne trouve le repos et le pouvoir de création que dans sa paisible
retraite. Dans une pièce sous les toits, il a installé son piano
et, dans le silence de la nuit, il cherche inlassablement des sonorités
nouvelles. Son repaire est parsemé d’objets hétéroclites.
«J’ai commencé une collection d’encriers. Je possède
quelques exemplaires anciens et d’autres qui symbolisent à la fois
l’imagination et le mauvais goût des Américains.»
L’Amérique
L’Amérique reste présente, bien qu’il se
réclame de la culture européenne. «J’ai, dans ma
famille, un véritable oncle d’Amérique : celui dont la
richesse fait rêver. Il possède une plantation de sapins qui s’étend
sur des dizaines et des dizaines d’hectares. Noël est, pour lui, une
véritable aubaine.» Les USA, c’est aussi son père,
un étrange migrateur. Il prépare actuellement un livre sur Fernand
Legros. Fernand Legros est devenu, parmi beaucoup d’autres, un habitué
de la maison. Les autres, ce sont les amis musiciens ou chanteurs, ceux avec qui
il partage le même idéal. «Je voudrais réunir dans
un même spectacle, Michel Jonasz, Alain Souchon, Catherine Lara et en finir
avec cette formule qui veut qu’un artiste assure à lui seul une ou
deux heures de scène.» La préparation de son prochain
trente-trois tours l’accapare totalement. Plus le temps de monter à
cheval ou d’errer près du lac. «En plus, je dois travailler
sur un projet important de télévision. Une série d’histoires
de la musique qui retracera, à l’aide de films parfois comiques,
la vie des musiciens qui marquèrent leur époque.»
William Sheller a fait le tour de ses souvenirs, de ses rêves, de ses ambitions.
Tout bon observateur devine une autre présence, une autre passion dans
sa vie. Des jouets traînent dans le salon. Le hamster est l’animal
favori des enfants. 16 h 30, l’heure de la sortie de l’école.
On s’organise pour aller chercher les deux petites têtes blondes qui
ressemblent étrangement au maître de maison. Inutile de poser des
questions. William Sheller cultive son jardin secret. D’eux, on ne connaît
que le prénom : Siegfried et Johanna.