William Sheller,
un sympathique personnage dont on parle beaucoup depuis un an, et cela grâce
à trois énormes tubes : Rock'n'dollars, évidemment,
qui fit les beaux jours de l'été 1975, mais aussi La Fille de
Montréal et Photos-souvenirs figurant sur le même album
et sortis en simple à l'automne dernier. Mais vous apprendrais-je que,
comme beaucoup de nos chanteurs préférés, William bourlingue
dans le métier depuis pas mal de temps ? Ses débuts, connus, remontent
à 1968. Mais avant d'en arriver à composer un tube aussi monstrueux
que My year is a day, qui était William Sheller ?
William,
comme son nom ne l'indique pas, est parisien. Tout au moins de naissance car il
avoue avoir passé une partie de son enfance aux Etats-Unis, ce qui, en
fait, ne semble pas avoir influencé sa culture musicale, pas plus, d'ailleurs,
que le jazz qui était la musique de son père. Monsieur Sheller,
en effet, était à la fois américain et contrebassiste de
jazz, l'un n'empêchant pas l'autre. Par contre, ce par quoi il reconnaît
avoir été influencé, c'est la musique classique. Tout gamin,
son rêve était déjà d'être compositeur classique;
sur sa demande, son père lui paye des cours de piano. Puis, par réaction,
il accroche, pendant quelques temps, à la musique contemporaine... pour
revenir bien vite au classique ! Il faudra un évènement bien précis,
qui tient de l'anecdote, pour que William se tourne vers le genre musical que
nous lui connaissons aujourd'hui : c'est en effet un jour que son piano était
cassé qu'il eut, accidentellement, l'occasion d'écouter quelque
chose de totalement nouveau et inconnu pour lui : un disque des Beatles ! Le hasard le gâtait ! Bref, ce fut un réel choc pour lui, l'ouverture
vers un monde totalement différent de celui dans lequel il vivait auparavant.
William se passionne alors pour ce que l'on appelle à l'époque la
"pop musique" et dissèque cette forme d'expression comme il l'a
déjà fait pour la musique classique. Et pourquoi ne ferait-on pas
coïncider cette "pop" avec le respect de la musique classique ?
Sans parler de My Year is a day, ni de la musique du film Erotissimo,
qu'il composa aussi en 1968, William semble avoir concilié ces deux courants
avec beaucoup de bonheur dans le petit chef-d'oeuvre qu'est le Popera-cosmic
et, surtout, dans ce grandiose Lux Aeterna, qu'il avait enregistré
pour des amis à lui, et dont j'ai voulu m'entretenir avec William, comme
vous pourrez le lire un peu plus loin.
Mais vis-à-vis de lui-même,
ce n'est pas l'auto-satisfaction. Il n'a en fait pas encore trouvé sa voie.
Il travaille, à droite et à gauche avec des gens forts différents
les uns des autres. On le retrouve en effet sur des disques aussi divers que La
Louve avec Barbara, Le Jour où les vaches, d'Emmanuel Booz (le
premier qui pense "Booz de vache" ne mérite franchement pas un
article aussi sérieux que le mien), un très beau disque qui n'eut
pas, malheureusement, la chance d'être révélé au grand
public, et puis des 45 tours de Sabrina Lory etc...
William, en fait, travaille
pour les autres sans savoir exactement quel est son style musical, ce qui, en
fait, est une réaction bien normale si l'on songe que l'album pour lequel
il avait vraiment donné tout ce qui était en lui à l'époque, Lux aeterna, n'avait reçu qu'un simple succès d'estime, de
la part des professionnels qui avaient eu l'occasion de l'écouter. La solution
ne semble donc pas être dans cette forme de recherche de vulgarisation du
classique.
Comme il avait, de plus, investi tous les droits d'auteur de My
year is a day dans l'enregistrement de cet album, William se retrouvait carrément
à son point de départ. L'album avait nécessité la
mobilisation de plus de quarante musiciens, choristes, pendant trois jours d'affilée.
Ce disque apparaît finalement comme un cadeau; à la musique, évidemment,
aux amis à qui il était dédié... mais aussi surtout
à William qui s'était ainsi prouvé qu'il pouvait faire autre
chose que My year is a day.
Après toutes ces différentes
galères desquelles William apparaît comme un touche-à-tout
de génie, il rencontre tout à fait par hasard, Alain Suzan, responsable
à l'époque du groupe Alice, qui était un des plus
intéressants du moment. Au cours de la discussion jaillit l'idée
qu'il pourrait être intéressant d'associer ce groupe électrique
à la culture classique de William. Alice étant un groupe
sérieux dont les membres se connaissent bien tout en sachant leurs possibilités
respectives, l'équipe s'enferme dans un studio. Outre William et Alain
Suzan à la basse, on trouve alors Luc Bertin, qui tient le piano lorsque
William n'en joue pas, Alain Weiss, batteur, Slim Batteux et Ian Jelfs (guitares).
Bref, les musiciens travaillent d'arrache-pied à la préparation
de ce premier album qui sera, on le ressent déjà, un évènement
pour la scène française. Sabrina Lory prête son concours pour
les choeurs. La méthode de travail de William consiste à se concentrer
au maximum sur la musique et les arrangements, les paroles étant griffonnées
rapidement selon les images évoquées par les sons, les arrangements.
William reconnaît avoir composé Rock'n'dollars en un temps
record. Et, comme par enchantement, c'est celle-là qui deviendra LE tube
de l'année. Ironie du sort, car William me confie ne pas trop aimer cette
chanson par rapport à d'autres qu'il adorait et qui n'ont pas attiré
l'attention du grand public.
Du jour au lendemain, William se retrouve au
premier plan, pop star sans vraiment l'avoir voulu. Sa chanson passe sans arrêt
sur toutes les stations de radio (elle sera même reprise pour une publicité
de jus de fruits pour la télé, il y a de cela seulement trois mois
!). Mais il ne faut pas s'y tromper : William ne semble pas désireux de
faire une carrière de faiseur de tubes. Il est avant tout compositeur et
arrangeur. Il n'y a donc pas vraiment de raison pour qu'il change du jour au lendemain.
Cela se ressent, de toutes façon, à l'écoute de certains
morceaux du premier album, que ce soit La Maison de Mara, Comme je m'ennuie
de toi ou Savez-vous ?.
C'est d'ailleurs vers ce style que tend
la musique de William dont la nouvelle orientation se dessine dés ce second
album chez Phonogram.
Un disque qui lui
ressemble...
Evidemment, on y trouve des tubes en puissance. Il
y a gros à parier que, comme pour l'album précédent, hormis Dans un vieux rock'n'roll, on trouvera encore un ou deux hits. A l'origine,
l'album démarrait très fort, sur Saint-Exupéry Airway.
La famille n'a pas permis qu'on utilise son nom; ils n'ont pas été
bons (petits) princes. Tant pis ! Il manquera un titre pour respecter la forme
originale de l'album tel que l'avait conçu William. C'est donc Dans
un vieux rock'n'roll qui ouvre ce disque à la pochette si romantique.
Inutile de vous en parler, vous le connaissez déjà par coeur. Au
passage, avez-vous remarqué le clin d'oeil au vieux tube Serre la main
d'un fou immortalisé chez nous par Johnny Halliday ? Le titre suivant
est Beatles jusqu'au bout des ongles. J'en parlerai plus tard avec William,
car ce titre, Téléphone pas trop tôt, que lui-même
n'aime plus tellement, sera sans aucun doute son prochain tube.
Je passerai
rapidement sur La Bière y était bonne, bon titre accrocheur
et assez commercial, pour m'arrêter sur Une chanson qui te ressemblerait,
qui correspond beaucoup plus à ce que William a envie de faire aujourd'hui.
Ce morceau, d'ailleurs, et encore plus A qui je m'abandonne, qui clôt
l'album, est caractéristique de l'énorme progrès de cet album
par rapport aux précédents : un son et des arrangements encore plus
riches et travaillés. Le titre suivant, Ça ne sert à rien,
est typique de William : une mélodie légère, bien mise en
valeur. Quant à 1.2.3.4, William l'avoue lui-même, c'est n'importe
quoi ! Une petite amusette de fin de face. Je glisse, sans préciser si
c'est un compliment ou une vacherie, que ça me fait penser à du
Gainsbourg revu et corrigé par Trenet !
On retourne le disque pour
se délecter de Joker, poker où les mots chantent et s'enchevêtrent.
Vient ensuite Genève, le morceau préféré de
William, un hommage à cette belle ville, un rapide hommage à Wagner.
William démarre toujours ses chansons à partir de petits détails,
laissant ensuite divaguer son imagination. C'est le cas, une fois de plus, pour
le sympathique Carnet à spirale, que l'on retrouve juste derrière Genève. Quant à C'est l'hiver demain, c'est une très
belle chanson, mélancolique à souhait, qui annonce et met si bien
en valeur le fabuleux A qui je m'abandonne où effectivement, William
s'abandonne dans un délire merveilleux et si bien ordonné. Un final
grandiose qui va mille fois plus loin que tout ce qu'a encore jamais composé
Monsieur Sheller.
En résumé, un très bel album, beaucoup
plus fouillé encore que le précédent. Un album intense auquel
il serait de mauvaise grâce de reprocher les futurs "tubes". Mais
laissons parler William...
Conversation
à bâtons rompus avec William Sheller
L'auditorium de
chez Philips, un tranquille après-midi de mai. Entre l'écoute
des deux faces de son dernier album, William Sheller est venu bavarder quelques
instants. Ses débuts remontent déjà à 1968, lorsqu'il
composa LE tube de l'année en France, My year is a day, interprété
par les Irrésistibles. Mais William, qui refuse de tomber dans le
piège du succès facile, préféra voler de ses propres
ailes, composer ce qu'il a envie, plutôt que d'écrire un deuxième
hit pour ce groupe de jeunes américains. La même année, il
sort en collaboration avec Gérard Manset son premier 45 tours, Couleurs,
sur CBS, suivi, peu de temps après, par Leslie Simone et Adieu
Kathy, les deux titres de son deuxième simple. Simple est, plus que
jamais, le terme qui convient, puisque William fait une moue dégoûtée
lorsque j'exhibe cette pièce de collection dont la pochette présente
un dessin vraiment peu ressemblant de William :
"Mon premier 45 tours,
je l'ai fait avec un groupe semblable à celui avec lequel je travaille
actuellement, ainsi qu'avec Gérard Manset, et, à l'époque,
il fut chroniqué dans des magazines style Elle, qui nous comparèrent
à des sortes de Mother of Invention français, ce qui fait que la
maison de disques sabota complètement le deuxième simple pour en
faire un truc commercial".
-"Comment se fait-il alors
que tu sois tout de même resté chez CBS, et que tu y aies sorti Lux
aeterna ?"
-"En fait, cet album n'a aucun rapport
avec les deux simples : je l'ai entièrement produit moi-même, et
j'ai du insister pour qu'il sorte. Or il vient de ressortir avec, en pochette,
une photo récente du Créateur de Rock'n'dollars. J'ai, de
toutes façons, quitté CBS après sa sortie, en 1972".
- "Aujourd'hui, une nouvelle collaboration avec Manset te paraîtrait-elle
possible, ou tout au moins envisageable ?"
-"Je revois Gérard
de temps en temps, mais travailler avec lui est assez difficile dans la mesure
où il fait réellement SA musique à lui et je ne vois pas
vraiment ce qu'on pourrait faire ensemble. Ou alors un 33 tours avec chacun sa
face ! "
- "Que penses-tu de cette réaction, caractéristique
du public français, qui laisse passer un disque aussi riche que Lux
Aeterna et qui, par contre, fait de Rock'n'dollars un tube du jour
au lendemain? "
- "C'est effectivement dommage, mais on ne
peut rien faire d'autre que de constater : le public français, au départ,
n'est pas musicien. Il accroche donc à des trucs plus "faciles".
Quoi qu'il en soit, il faut aussi admettre que Rock'n'dollars a été
l'objet d'une promotion dont n'avaient pas bénéficié mes
disques antérieurs. J'ai toutefois été beaucoup plus heureux
de constater le succès de Photos-souvenirs, qui est un morceau beaucoup
plus riche, que ce soit au niveau texte ou musique. Mais si j'avais continué
à ne faire que des trucs style Lux, j'aurais attendu le succès
toute ma vie... et il en aurait été de même pour Manset s'il
s'était cantonné à d'autres Mort d'Orion. Il en sera
de même pour mon nouvel album : mon titre préféré est
Genève, mais ce n'est pas du tout un titre "grand public".
-
"Venons-en donc à ce nouveau 33 tours. Travailles-tu avec les mêmes
gens?"
-"Oui, il s'agit toujours des anciens du groupe Alice.
Cet album devait démarrer sur Saint-Exupéry Airway, mais
la famille de l'aviateur a crié au scandale, et ce titre, sous cette forme,
ne paraîtra pas sur le 30 cm; les 45T déjà sur le marché
sont retirés de la vente pour être remplacés par un single
avec Joker, pocker, à la place. Quoi qu'il en soit, nous réenregistrerons
ce même morceau avec des paroles légèrement modifiées.
Il suffit juste de remplacer "St Exupéry" par n'importe quel
autre nom. De toutes façons, la face A de ce 45 T reste Dans un vieux
rock'n'roll".
- "Dans un autre titre, Téléphone
pas trop tôt, j'ai cru reconnaître le riff de Here comes the
sun. Est-ce un clin d'œil aux Beatles?"
- "Je ne l'avais
même pas remarqué ! Par contre, au studio, lorsque nous avons enregistré
ce morceau, c'est plutôt No reply qui m'est revenu en mémoire".
- "Maintenant que ça marche pour toi, que tu peux travailler
avec moins de contraintes financières par rapport à ta maison de
disques, est-ce-que tu penses que cela va te permettre de faire des trucs nouveaux,
peut-être même, pourquoi pas, totalement différents de Rock'n'dollars,
plus proches de Lux, ou au contraire risques-tu de devenir prisonnier de
ton public et donc, indirectement, d'un style musical bien défini ?"
-
"A ce niveau, aucun danger : je sais exactement ce que j'ai envie de faire.
Le succès me permet effectivement de vivre mieux... La preuve, j'ai pu
récemment m'offrir un piano alors que j'en étais privé depuis
deux ans ! Mais je prépare des albums qui n'ont rien à voir avec
l'image que le public a de moi; des albums peut-être même instrumentaux,
avec des musiciens qui viennent d'un peu partout, au grè des sessions et
de l'inspiration".
- "En général, comment
te vient une chanson ? Le thème utilisé correspond-t-il toujours
à un souvenir personnel bien précis ?"
- "Pas
du tout ! La musique est toujours écrite avant. Je pars ensuite d'un mot,
d'une image qui semble coller à la musique, et l'imagination fait le reste,
d'après les deux ou trois phrases déjà écrites ! De
toutes façons, à chaque album, je compte mettre de plus en plus
de musique, d'arrangement raffinés, le texte et ma voix n'étant
en fait qu'un instrument de plus, à peine plus important qu'une guitare".