Pop hebdo N°16
30 avril 1976

WILLIAM SHELLER
Faire un pont
(par Michel Santon)



Il est assez étonnant de constater que c’est un non-chanteur, comprendre : quelqu’un qui s’imaginait mal en train de chanter et s’en croyait de toute manière peu capable, qui s’impose actuellement sur ce plan (et sur d’autres !) et qui par la même occasion fait bouger bien des choses dans le petit monde de la variété. Son rôle est un peu celui d’un « pivot » et en deux albums seulement il a réussi à faire partie du peloton à l’effectif trop restreint des artistes, compositeurs et interprètes, dont les productions méritent d’intéresser le public rock. Ceci est peut-être encore plus particulièrement valable pour William tant ses créations sont d’inspiration anglo-saxonne. 

Le 15 avril a été mis en vente dans le commerce le nouvel album de William Sheller et la parution de son disque va faire du bruit !... On peut même se risquer à établir un pronostic : le simple St Exupéry Airway doit être l’un des plus gros succès de ce printemps. Mais attention, lorsqu’il est question de popularité et de succès dans le cas de Sheller, cela ne signifie nullement que nous avons à faire à une production de faible intérêt. St Ex se trouve seulement être un excellent morceau, l’un des meilleurs du disque, et de plus un succès en puissance, ce, par sa seule qualité.

Le tube a ses raisons que la raison ignore
Réflexe dont il semble difficile de se corriger : dès qu’il est question d’un artiste français (le problème est un peu différent pour les groupes), on a tendance à « prendre des gants », avancer à pas prudents, réprimer son enthousiasme, se méfier de ses premières réactions alors qu’on leur laisse plus facilement libre cours avec des musiciens anglo-saxons. Et c’est dommage, parfois, dans le cas de Sheller du moins. Cela dit, on doit comprendre l’attitude de méfiance, d’une part, du public rock. Ainsi, lorsque l’on apprend que William va participer, si succès il y a (mais tenons-le pour acquis) à des émissions du style Ring machin chose et autres fleurons de la culture télévisuelle de notre bonne vieille France giscardienne… Mais revenons à ce nouveau disque de William, abandonnant ce problème toujours délicat de la promotion d’un disque, problème lié à la situation plutôt défavorable de la musique de qualité, à un contexte qui lui demeure très défavorable.

Une certaine conception du rock
Revenons-y d’autant plus vite que le disque constitue le seul moyen pour William de se faire connaître puisqu’il n’est actuellement pas question pour lui de se produire en scène. S’il doit le faire, ce sera sous la forme d’un véritable spectacle. Mais ce projet ne verra pas le jour prochainement.
Ce qui frappe d’abord dès la première écoute de cet album, le second de sa carrière de chanteur, c’est sa maturité, sans doute liée à l’exceptionnelle cohésion de l’équipe Sheller. En particulier la précision du très méticuleux Patrick Gandolfi, producteur, est remarquable. Il a su donner un « son » à chaque morceau et mettre en valeur les orchestrations très intelligentes de ce disque, dues à William, bien sûr, avec la complicité des excellents musiciens l’entourant. En tout premier lieu, il convient de citer Alain Suzan (ex-Alice), à la basse et aux guitares, ainsi que Paul Scemama (ex-Devotion), ingénieur du son et également guitariste. William a de plus fait de beaux progrès dans l’écriture des textes, développant sa technique du « collage ». Un jeu pour lequel il se sert de son excellente connaissance de la culture américaine, William a en effet vécu aux States.

« St Ex » et quelques autres
Les réussites ne manquent pas sur ce disque. Et si l’on pense tout d’abord à St Exupéry Airway, d’autres titres retiennent vite l’attention et vous deviennent familiers. Il en va ainsi de Dans un vieux rock’n’roll, d’ailleurs choisi en face B du simple, un morceau lent à la superbe ambiance. Et puis Genève, cette véritable « séquence de film », histoire placée en 1880 qui sert de prétexte à William pour nous proposer des orchestrations de cordes incroyablement puissantes, énormes, à la Wagner, à déplacer des montagnes…suisses. Joker Poker évoque quelque peu Elton John en particulier pour le rôle du piano et le placement de la voix, très haute et très en avant, le tout sur d’excellentes interventions de guitare. Ça ne sert à rien est peut-être le morceau  qui nous permet de découvrir le « vrai » Sheller », un court poème très personnel, intime, intimiste avec William seul au piano. Dénué, super. Il y a aussi ce mariage très heureux entre C’est l’hiver demain, avec son ambiance très réussie, la musique suivant le cours des saisons lorsque l’automne bascule dans l’hiver, et A qui je m’abandonne, au temps très lent et de conception presque symphonique avec un crescendo puissant, qui conduit tout à fait logiquement ce disque à son terme.
Voila les morceaux qui au prime abord enthousiasment, mais ce disque comprend d’autres titres très agréables comme Le Carnet à spirale (bonnes idées sur le son, gimmick), La bière y était bonne (très « éclaté »), ou encore Une chanson qui te ressemblerait (chorus d’Alain Suzan). Téléphone pas trop tôt (rock un peu rétro) et 1.2.3.4 (lignée Rock’n’dollars) passent plus inaperçus.
William Sheller signe avec ce disque une réussite encore plus probante que ne pouvait l’être sa précédente réalisation, déjà excellente. On le savait intéressant compositeur et on le connaissait arrangeur de talent, aujourd’hui encore, il demeure tout cela, et, mieux encore, réussit à s’imposer comme parolier et comme interprète de talent. Enfin, il a su s’entourer d’une équipe dont, c’est certain, nous aurons à reparler. Que demander de plus ?