Age tendre N°129
août 1975

William Sheller : sa grand-mère lui avait prédit qu'il deviendrait célèbre

 

Donnez-lui, s'il vous plaît, un disque d'or... pour son Rock'n'dollars car il a du talent


«Donnez-moi, Madame s’il vous plaît,  du ketchup pour mon hamburger, donnez-moi, Madame s’il vous plaît, du gazoline pour mon chopper…» chante en tempo rock un nouveau venu dans les hit-parades : William Sheller. Drôle de chanson, pleine de gaieté et de douce folie, drôle de garçon, plein d’idées musicales originales. Il s’appelle William Sheller. Pourquoi William ? Parce que, quand il est né, il avait la tête en forme de poire. Cela peut paraître abracadabrant, mais c’est vrai ! Et William est né d’un père américain, ce qui explique également qu’il ait conservé ce prénom…même après qu’on lui ait remodelé le crâne !
Cette anecdote montre que les parents de William n’étaient pas du genre tristes… et qu’il a hérité de leur fantaisie. William Sheller n’est pas à proprement parler un nouveau venu dans le milieu artistique. Il a appris le piano à 10 ans et, à la même époque, il fréquentait déjà le Théâtre des Champs-Elysées et l’Opéra où son grand-père était décorateur. Le petit William a donc entendu très tôt, depuis les coulisses, les œuvres de Mozart, Chopin ou Berlioz… et aussi des jazzmen célèbres comme Kenny Clark et Dizzy Gillespie (car papa était contrebassiste amateur à ses heures).
A 15 ans, il  compose ses premières chansons et il sait déjà que plus tard il sera compositeur. D’ailleurs, sa grand-mère, voyante, a prédit qu’il deviendrait célèbre et que l’on verrait sa tête dans les journaux ! Le fait de fréquenter les salles de théâtre et de music-hall lui permet d’approcher les grands chefs d’orchestre, et il n’hésite pas à leur demander conseil : doué pour la composition, l’orchestration, l’harmonie, le contrepoint, William prépare même le Prix de Rome, ce qui est, dans le monde classique, une sérieuse référence.
Et puis, un beau jour, dans les années 64-65, c’est le coup de foudre : William entend les disques des Beatles et il devient dingue de cette musique, aussi sophistiquée que du Beethoven, mais plus fougueuse et plus enivrante. Il se tourne alors vers la pop musique et entre, comme chanteur, dans un groupe amateur. C’est à partir de là que William va tenter de faire concilier son expérience du classique avec des aspirations plus «contemporaines». Il veut mélanger les genres et il y réussit puisqu’il réalise, dés 1969, deux œuvres importantes, la musique du film Erotissimo et les orchestrations de l’album Popéra cosmic de Guy Skornik et François Wertheimer.

Coupé du public
Mais William ne s’estime pas satisfait. Il se trouve encore trop marginal, trop coupé du grand public. Il cherche sa véritable voie. En 1974, il fait la connaissance d’un guitariste pop, Alain Suzan (du groupe Alice), puis d’un tas d’autres musiciens prêts, eux aussi, à se défoncer pour trouver une couleur originale. Le résultat ? C’est l’enregistrement, au début de cette année, du premier album de William Sheller comme compositeur, orchestrateur et… chanteur. William croit en ce disque, mais il n’imagine pas qu’une chanson sans prétention comme Rock'n'dollars, va envoûter les programmateurs et faire de lui, en quelques mois, une vedette au même titre que Julien Clerc ou Alain Chamfort. Que pense William Sheller de cette gloire toute neuve ? «Je suis heureux de vendre des disques parce que ça me permet de me payer du matériel pour mes prochains enregistrements, mais je ne serai jamais une vedette au sens "public" du mot.» 

Vivre seul
«Je suis un solitaire. Je vis seul (ou plus exactement avec mon chien Henri) dans une grande maison à la campagne. Je n’aime pas les boîtes de nuit, je n’ai pas l’étoffe ni le physique d’un chanteur de scène… Ma seule passion, c’est de "fabriquer" des chansons et des musiques. Je passe ma vie enfermé dans les studios d’enregistrement. Et en ce moment, par exemple, je travaille des orchestrations pour Cloclo et pour Sabrina Lori. Ma seule ambition, c’est de faire de la bonne musique. Sans même y mettre d’intentions philosophiques ou politiques.»
Qu’aime William Sheller en dehors de la musique ? «J’ai un hobby : la peinture. Je peins des croûtes dans mon grenier… Et puis, j’aime bien lire de vieux romans. Quand je n’ai rien à faire, je vais flâner aux Puces ou sur les quais, à la recherche d’œuvres oubliées. Côté cinéma, j’aime surtout les films "forts", comme ceux de Ken Russel ou de Stanley Kubrick…»

Une nouvelle race
William Sheller, on le voit, est un garçon du genre calme. Du moins extérieurement. Car, en réalité, il est assez brillant au fond de lui-même, et cela se remarque dans sa musique. Il souhaite d’ailleurs que les gens qui achèteront son album ne se contentent pas d’écouter son tube, mais aussi ses autres chansons, plus fouillées. William écoute beaucoup de disques et il apprécie particulièrement des gens comme Paul McCartney, Elton John ou David Bowie… Il fait partie de cette nouvelle «race» de créateurs qui ne cherchent pas la popularité par des coups d’éclat, mais par une lente élaboration de travaux qui, ajoutés les uns aux autres, finiront un jour par former une œuvre. William est content de s’exprimer par la musique. Mais peut-être sera-t-il demain un peintre célèbre ? En attendant, qu’il le veuille ou non, cet été, toute la France fredonne «Donnez-moi, Madame s’il vous plaît,  du ketchup pour mon hamburger …»