Il y a en France 
            deux bandes de jeunes musiciens qui ont le professionnalisme que l'on peut attendre 
            de ceux qu'il est convenu d'appeler "des musiciens de studio", et en 
            même temps les idées et le talent que l'on croyait l'exclusivité 
            des Américains (Muscle Shoals band, L.A. Express, etc
) Il y a d'une 
            part celle dont la rythmique est constituée par Didier Batard et Jean-François 
            Auger, et d'autre part celle d'Alain Suzan. 
            Autour de Suzan, créateur 
            du groupe Alice, première, deuxième et troisième formules, 
            on retrouve une dizaine de types au passé en général très 
            explicite : Doudou Weiss (batterie), Luc Bertin (piano), Yves Chouard (guitare), 
            Slim Batteux (pedal steel et claviers), les frères Labacci (guitares et 
            percussions), Paul Scemama (ingénieur du son) et Patrick Gandolfi (réalisateur). 
            Vous les entendez derrière bon nombre de gens comme François Bernheim, 
            Sabrina Lory, Terry Scott, sur le disque de Gomina, etc. Les arrangements sont 
            chaque fois confiés à William Sheller, un musicien très complet 
            dont la grande connaissance du solfège est très appréciée 
            de ses camarades. William Sheller n'est pas un inconnu pour vous puisque sa chanson 
            Rock'n'dollars est classée au hit-parade et que vous l'avez vu à 
            la télé plusieurs fois. Une interview va nous en apprendre un peu 
            plus.
          - Jean-William Thoury : "De quelle nationalité 
            es-tu ?"
            -William Sheller : "Français, né 
            à Paris de mère française et de père américain. 
            En fait, je suis même d'origine écossaise. Mon père jouait 
            un peu, comme ça, avec des musiciens de jazz dont il était l'ami. 
            J'ai entendu du jazz pendant toute mon enfance, c'est peut-être pour ça 
            que je ne l'aime pas beaucoup
 Nous sommes allés aux USA, j'y ai vécu 
            jusqu'à l'âge de 7 ans. C'est certainement par réaction que 
            j'ai eu la folie de la musique classique, j'ai voulu l'étudier, j'ai fait 
            le Conservatoire. Puis je suis parti dans des délires de musiques contemporaines, 
            j'étais complètement coincé. Un jour, par hasard, une amie 
            m'a fait écouter un disque des Beatles
Trois heures plus tard, 
            je disais au revoir à mes profs, et j'essayais de me lancer là-dedans. 
            Ce n'est pas facile, en sortant du classique, de vouloir faire du rock. Ce sont 
            deux mondes totalement différents. J'avais un handicap. Je me suis mis 
            à travailler avec des groupes dans des bases américaines. J'étais 
            chanteur. C'était vers 65, nous chantions des trucs des Beatles et des Stones. Puis vint Sergent Peppers. Et là je retrouvais 
            une musique que je n'avais pas cessé d'aimer. J'étais gêné 
            de rencontrer des types qui étaient depuis toujours dans le rock'n'roll, 
            et qui n'aimaient pas la musique classique, parce que je considère que 
            c'est "la suite". Cela a changé avec des types comme King Crimson 
            et pas mal d'autres musiciens qui ont compris
"
          - 
            "Tes débuts dans ce métier remontent au temps des Irrésistibles. 
            -"Oui, j'ai commencé chez CBS en faisant My year 
              is a day et pendant cinq ans on m'a redemandé toujours la même 
            chanson ! C'était un peu dur. Avec l'argent que m'avait rapporté 
            ce tube, j'ai pu faire un album pour moi, Lux Aeterna. J'ai rencontré 
            Patrick Gandolfi qui était chez BYG et qui m'a présenté 
            Alain Suzan, parce que nous étions tous les deux intéressés 
            par les mélanges de rock et de classique. Nous avons décidé 
            de travailler ensemble".
          - "Comment expliques-tu 
            l'apparente contradiction entre ton album chez CBS et celui que tu viens de faire 
            chez Phonogram ?"
              - "Je considère qu'il 
            est dommage que la variété soit souvent mauvaise, que ce soit dans 
            l'inspiration, dans les arrangements, dans la prise de son, surtout dans la prise 
            de son ! 
            On s'est dit : "Il faudrait faire un album de variétés 
              qui soit sympa". J'ai écrit des chansons dans cette optique, en 
            restreignant tout, pour essayer de s'imposer dans ce style, pour pouvoir après, 
            peut-être, amener les gens à autre chose". 
          -"Tu 
            as délibérément fait le disque avec une arrière-pensée 
            ? "
            - "Par la variété on peut joindre les 
            gosses, c'est toujours ce que je dis
 Je cherche à joindre les mômes 
            qui actuellement écoutent un tel ou tel autre, en leur donnant de la bonne 
            musique, et petit à petit ce sont eux qui arriveront à faire "tout" 
            bouger. Ce sont des plans à longue échéance !"
          - 
            "Certaines des chansons de ton album me font penser à d'autres artistes
"
            - 
            "Ah, bien sûr, le père McCartney ; il y a un gigantesque "clin 
            d'il" dans Oncle Arthur. J'aime bien McCartney, Elton John aussi". 
          - "Et certaines ressemblances avec Véronique 
            Sanson ?"
            - "Oui, on m'a déjà dit ça 
            pour La Maison de Mara. J'aime bien Véronique Sanson, elle a été 
            l'une des premières, avec Michel Berger, à sortir des trucs bien. 
            Depuis, il y en a eu d'autres, comme Christophe. Denis Pépin aussi, j'aime 
            bien". 
          - "As-tu peur que l'on te demande 
            de refaire Rock'n'dollars, comme cela c'est produit avec My year is 
              a day ?"
            - "Oh là oui ! Mais j'espère 
            que non
 C'était juste un gadget : je ne comprends pas bien pourquoi 
            c'est ce titre qui a accroché : j'aimerais bien que l'on passe autre chose. 
            Au départ, Rock'n'dollars, c'était une satyre d'un chanteur 
            de rock un peu taré, qui a besoin de tous ces mots anglais, le genre de 
            types à qui il faut tout donner, qui attendent toujours d'avoir de bons 
            instruments, de bons studios, et qui ne font jamais rien. C'est un truc un peu 
            débile, mais ça marche au premier degré. Je ne sais pas si 
            c'est une complicité ou l'incompréhension". 
          - 
            "En tant qu'arrangeur, tu participes aux séances d'enregistrement 
            de nombreux autres artistes
 "
            - "Oui, je fais partie 
            de toute une équipe. Parce que je viens du classique, j'ai ce rôle. 
            La rythmique, c'est une chose qu'il faut vraiment avoir dans la peau. Suzan et 
            ses camarades mettent les rythmiques en "boîte", ensuite, je prends 
            la bande et j'écris les cordes ou les cuivres dessus. Nous avons travaillé 
            avec Sabrina Lory, François Berheim, Emmanuel Booz". 
          - 
            "Que penses-tu de ce qu'ils font ?"
            - "Manu, j'aime 
            bien, mais finalement on l'a "bouffé". Quand il est tout seul 
            avec sa guitare, c'est génial, tandis que sur le disque il y a des moments 
            où il n'arrive pas à émerger. Mais c'est lui qui le voulait. 
            Nous avons également fait un album de François Wertheimer et Suzan 
            va faire le sien".
          - "Quelle est ta chanson 
            préférée sur ton propre disque ?"
            - " 
            Pour la musique ce serait Savez-vous ? Quand aux paroles, il en faut, alors 
            autant qu'elles soient sympas. La musique est une image, mais floue; quand on 
            colle un mot dessus, ça devient net. Le français constitue un problème. 
            Sanson a trouvé le coup : une syllabe par note. Ce qui oblige a tourner 
            les mots dans tous les sens, trouver la phrase qui soit nette et en même 
            temps musicale ! On ne peut pas tirer sur une syllabe française. "Sur 
              ton balcon-on-on", ça ne colle pas !" 
          - 
            "Tu as déjà collaboré avec Manset, je crois ?" 
            - " Oui, un 45 tours sorti chez CBS, sous mon nom, qu'il vaut 
            mieux oublier ! Mais Manset, c'est très bien ! C'est un monde à 
            part, une poésie. On ne peut pas vraiment travailler ensemble parce qu'il 
            a les mêmes spécialités que moi : il fait ses musiques et 
            ses arrangements
 En plus, nous sommes deux mondes complètement différents. 
            Quand Manset passe à la radio, j'écoute, je me dis : "Qu'est-ce-qui 
              se passe ?""
          - "Considères-tu 
            que c'est ce qui se fait de mieux dans la variété française 
            ?"
            - "Pour moi, ce n'est pas de la variété 
            : c'est différent, c'est une forme de poésie. C'est si spécial."
          - 
            "Crois-tu que la France soit un grand pays musical ?"
            - 
            " Ah, il n'y a jamais eu de musiciens, à part Debussy et Ravel
 
            Il y a des gens qui m'ont vraiment surpris dans le mauvais, ce sont les Allemands. 
            Avec tous les grands musiciens qu'ils ont eu
 Les groupes allemands c'est 
            vraiment du n'importe quoi dans tous les sens ! Il suffit d'écouter la 
            musique d'un pays pour "entendre" les gens vivre. Prends l'exemple de 
            la musique californienne, tu sens tout de suite le côté "cool" 
            de cette région. La musique française, c'est bien structuré, 
            mis en place, toujours très poli, même quand tu fais du hard-rock 
            ! Parce qu'en France, on est toujours très poli
 "
          - 
            "Bon, eh bien au revoir, Monsieur William Sheller, et à bientôt".