Best N°84
juillet 1975

Y'a une route ?
(par Alain Pons)



La nouvelle génération française confectionne d’excellents disques fortement imprégnés de rock. Est-elle sur la bonne voie ?

NOTE :
Cet article de 6 pages évoque toute une série de chanteurs français « à textes » sur fond de musique rock qui émergeaient à l’époque. Après avoir longuement parlé de Maxime Le Forestier, François Béranger, Yves Simon, Michel Berger, Véronique Sanson, Christophe et Jacques Higelin, le journaliste termine son article par un chapitre consacré à Gérard Manset et William Sheller.

[…]

Et les Beatles? Gérard Manset, William Sheller
L’influence américaine est prépondérante dans la rock-chanson et particulièrement celle de Dylan et de Crosby, Stills Nash et Young. Le folk-rock correspond parfaitement à une certaine tournure musicale française. Par ses structures de base, il est très proche de la Rive-Gauche. C’est le style de musique le plus rapidement compréhensible et assimilable par nous. Bizarre que son succès en France soit limité à quelques noms. Les leçons données par Soft Machine, Pink Floyd, King Crimson ou Genesis sont toujours ressassées par les groupes français, sauf Ange, sans avoir été apprises.
Curieusement, l’exemple universel des Beatles vient tout juste d’être compris. Tout au moins mis au goût du jour par des gens comme Gérard Manset, William Sheller ou Darras et Désumeur. Ces derniers sont manifestement bloqués sur Sergeant Pepper et leur album a un ton passéiste voire démodé. Les Beatles et principalement Mac Cartney viennent donc seulement d’être « digérés ». Curieux de constater que cela coïncide avec la prise de conscience par le public français de l’importance,  de l’existence même de Paul Mac Cartney. Band on the Run a été un succès et Venus et Mars s’arrache chez les disquaires.

GERARD MANSET est fasciné par Mac Cartney. Il aime et admire sa simplicité efficace. Le nouvel album de Manset possède justement cette qualité et, comme par hasard, il obtient un succès fantastique. Les fanatiques de La Mort d’Orion penseront peut-être que Manset est tombé dans le piège de la facilité. Rien de plus faux. Orion est une œuvre belle et ambitieuse mais critiquable. Mais qui peut se permettre de critiquer « Manset » ? Autant descendre en flammes Red Rose Speed way ou Imagine. Manset a voulu faire un disque exemplaire et il a réussi. Il a une vision des choses si lucide, quasi mystique, qu’il ne sera jamais un chef de file mais toujours un exemple. Et que l’on cesse de considérer Gérard Manset comme une sorte d’ours illuminé. C’est un homme exigeant pour lui-même comme pour les autres. Avec une belle pincée de génie en plus.

WILLIAM SHELLER est surtout connu comme arrangeur. Peut-être encore plus prochainement puisqu’il est question, qu’il travaille pour Paul Mac Cartney rencontré récemment à Paris. Au lieu de travailler bien tranquillement pour Emmanuel Booz ou François Bernheim par exemple, le voici descendu dans l’arène. Avec ses chansons et son filet de voix.
Le but de Sheller est de capter l’attention du public teen en lui proposant autre chose que des âneries. Pour cela, il s’impose des limites et se propose de procéder par étapes. Programme courageux, ambitieux et finalement un peu frustrant pour un musicien de sa valeur. Si vous avez des gosses ou des petits frères et sœurs, offrez-leur son premier album. Il est frais, solide et se situe entre Paul Mac Cartney et Elton John. Ils l’aimeront et je parie que vous finirez bien par le leur piquer comme vous l’avez déjà fait (ou auriez du le faire) pour celui des Rubettes.
Bien sûr, on aimerait que Sheller soit déjà plus loin. Mais il faut bien comprendre que Manset par exemple s’adresse à un public déjà existant et qu’il faut absolument en créer un autre. C’est le rôle difficile d’un William Sheller.
Précisons à toutes fins utiles que Rock’n’dollars est une chanson humoristique, une charge contre ceux pour qui le rock français se résume à quelques mots d’anglais habilement glissés.
Eh oui, nous avons encore nos complexes et nos tares. Une chose est certaine. La rock-chanson progresse à pas de géants. Déjà la production devient de plus en plus importante et il faut faire un tri. Déjà, un article est trop restreint pour dresser un panorama complet. J’aurai pu vous parler encore du bouillant Jean-Pierre Castelain et de sa bonne fée Jeanne-Marie Sens. J’aurai pu aussi faire un catalogue de disques.
Mais on parle toujours de disque. Maintenant que l’on sait le faire, peut-être faudrait-il prendre la route et porter la bonne nouvelle.