Le Soir
1er avril 2021

Culture/Musique
Sheller publie "William",une autobiographie voguant entre amours et amitiés
(par Thierry Coljon)


Wiliam Sheller publie "William", une autobiographie voguant entre amours et amitiés.

De grand matin, comme à son habitude, William Sheller, barbu et confiné, est derrière son ordinateur pour nous parler, via WhatsApp (et son compte intitulé Grumpy Old Man -vieux grincheux !-), de ce livre de confidences cash qui fait la part belle aux gens qu'il a aimés.

- « Vous avez l'air en bonne santé... »
- « Ah, complètement. J'ai profité de la promo à Paris pour aller voir mon cardio qui m'a dit que j'étais en pleine forme. A 74 balais, c'est pas mal. Je ne prends plus ces médicaments qui m'ont attaqué la thyroïde et les yeux. »

- « Il y a cinq ans, au Cirque royal et en Wallonie, cela allait mieux qu'aux Victoires de la Musique... »
- « Oui, mais à Spa en 2019, c'était une horreur. J'ai fait un concert alors que je ne voulais plus en faire, pour la femme d'un de mes musiciens qui avait besoin d'un fauteuil particulier. On a tous joué gratis et là, je n'étais pas en état, c'était pas terrible. »

- « C'est suite à cela que vous vous êtes retiré de la vie publique pour écrire ce livre ? »
- « J'ai commencé à travailler dessus il y a deux, trois ans. Le métier ne m'a pas vraiment rendu ce que j'en attendais. A part ça, en général, il confie ça à quelqu'un qui écrit pour lui et qui fait sa tambouille selon sa vision. Mais on n'y retrouve pas les détails de la vie, ce qui donne de l'énergie : les amis, les gosses, les choses privées. Moi je voulais parler du bonhomme, du môme. D'où, en guise de couverture, la photo de mon passeport pour revenir des Etats-Unis. Je ne voulais pas d'une photo d'artiste. J'avais l'histoire du début quand ma mère cancéreuse, qui s'en va, me dit qui est mon vrai père. Je me suis retrouvé tout seul. C'était en 1998 et le temps de faire des recherches, j'ai retrouvé ma famille américaine en 2006. Dans ce livre je ne dis du mal que de moi, j'ai aucun compte à régler, je ne parle pas des menteurs, des profiteurs, des incapables, des imbéciles et des hypocrites qui se reconnaîtront. »

- « C'est vrai que le livre est très honnête... »
- « Oui, même si certains me disent : "t'as pas parlé de moi". J'ai dû oublier. Il y a 500 pages tout de même. Je vais peut-être devoir en faire un autre, en ouvrant à ceux qui m'ont échappé ou ceux qui étaient tellement là tous les jours que je n'avais pas d'anecdote spéciale. Je pense à Loulou, mon régisseur, qui s'occupait de tout. »

- « Vous n'oubliez pas la Belgique, votre "petite fiancée" comme vous dites. De Liège à Bruxelles où vous avez vécu dans le quartier Montgoméry et où vous avez réalisé le clip Mon Dieu que je l'aime avec Jean-Pierre Berkmans en plus d'avoir créé cette suite de concerts en solo piano au Théâtre 140, sans parler du Quatuor Stevens. »
- « Je parle de Jo Dekmine, oui. Mais je pourrai, oui, écrire "Sheller le retour" en parlant de ce tournage complètement fou réalisé en un seul plan-séquence, avec tout ce parcours appris par cœur, mètre par mètre. C'était génial. Ça et Excalibur sont mes deux préférés. J'ai ai fait peu il est vrai. »

- « Ce livre est très intime, étonnant de la part d'un artiste très pudique, très secret... »

- « Mais, ça, je m'en fous. J'ai été malade. C'était comme une mort initiatique. D'un coup, tu t'en sors, tu te réveilles et tu te dis : mais à quoi ça a servi tout ça ? Tu te retournes sur ta vie et tu la vois telle qu'elle est. Avec les hauts et les bas, le noir et la lumière. Tu te blesses mais tu en tires d'abominables histoires enrichissantes. Je ne vais plus chanter mais je composerai bien jusqu'à 85 ou 90 ans, ce qui me fait peut-être encore 15 ans de bon. La vie d'un chien ! J'ai envie de la passer tranquille, et donc, je n'ai plus rien à faire de ce qui s'est passé avant. »

- « Une vie tranquille qui ne sera plus publique. »
- « On me dit : "On ne vous voit plus !" mais je ne vais quand même pas venir jouer tous les jours en bas de chez vous. Et puis la télé, ce n'est plus que des concours genre The Voice. Je n'ai plus ma place là-dedans. Et puis, il faut laisser la place aux jeunes qui avancent. Je pense à Eddy de Pretto, que j'aime beaucoup. »

- « Vous avez dit vouloir vivre caché comme Greta Garbo et en même temps, dans le livre, vous dites avoir encore des projets… »
- « Oui, je vais continuer à écrire. Je me retire de la scène comme Greta Garbo s'est retirée du cinéma. Je ne jouerai plus de piano et je ne chanterai plus. Je n'ai plus jouée de piano depuis 2016 et je ne sais plus mes textes. Je compose en travaillant au crayon, une gomme et du papier à musique. Mon piano à queue, je ne l'ai plus, il est à Liège. Je l'ai vendu à un marchand de piano à qui j'ai aussi refilé une des mes Victoires de la Musique et des disques d'or car il fallait bien que je m'en débarrasse. Que veux-tu que je fasse avec tout ça ? Ca fait des nids à poussière. Je n'ai pas de regret. Mon projet le plus probable sera ce disque essentiellement instrumental qui revient un peu à mes débuts, quand j'écris Lux æterna qui, à l'époque [en 1972, NDLR] a fait un flop monstrueux. j'ai envie de réécrire un truc comme ça, un peu progressif, car les mômes semblent s’y intéresser aujourd'hui. Et s'il y a un air à chanter, je trouverai bien quelqu'un pour ça... »

* William, par William Sheller, Equateurs, 494 pages, 23 euros.



William par Sheller

Une brique ! Une somme ! 500 pages pour raconter une vie dont ne ne connaît finalement que les chansons, les disques et les concerts. Celui qui a toujours été très discret révèle tout ici, avec une franchise et une honnêteté rares et aussi la pudeur des grands artistes. Cette autobiographie privilégie ses amitiés et ses amours. Ses proches du show-biz sont rares, ils s'appellent Barbara, qui lui a conseillé de chanter, Françoise Hardy (qui lui a trouvé son éditeur), Nicoletta, Patrick Juvet, Catherine Lara (ses potes de bringues), Joe Dassin… William parle de Marianne, la mère de ses enfants, de Nelly et de Peter, sa compagne et son compagnon avec qui il a vécu près d'une décennie, en toute liberté, privilégiant les sentiments au sexe, lui qui se dit aujourd'hui asexué. Et puis il y a la drogue aussi, cette cocaïne qui lui donnait un coup de fouet sans pour autant expliquer le talent mais qui épuisera son coeur. Les nuits de folie, les ambiguïtés, les accidents de tous les jours, entre cette mère, cette "indéfectible ennmie intime", qu'il évoquera en 1983 dans Maman est folle et des grands-parents aimants qui, par leur travail au Théâtre des Champs-Elysées, seront au départ de tout. William vit de et pour la musqiue mais celle-ci n'est pas au centre d'un livre d'un livre qui s'attache avant tout à des anecdotes pleines d'humanisme. On rit plus d'une fois avec ses voisins pompiers et on est touché par toutes ces épreuves que l'homme a dû traverser pour enfin devenir "un homme heureux", père et grand-père comblé, dont la petite musique de nuit nous hante au-delà des pages. Un gars bien, ce William !