Dimanche Ouest-France
(éd.Saint-Malo/Dinard)
28 février 2016

William Sheller en toute franchise
(par Michel Troadec)


Musique. Sa carrière, entre chanson, rock et classique en fait un artiste à part, au nouvel album inspiré. Rencontre avec ce solitaire, de la famille de Barbara et Véronique Sanson.
 
On l'avait peu vu lors de la sortie de Stylus, son magnifique nouvel album, en novembre dernier. La faute à des problèmes de santé. Il était resté chez lui, en Sologne, à quelque 300 kilomètres de Paris. L'hommage que lui ont rendu, quelques semaines plus tard, les Victoires de la musique est donc bien tombé.
Remis d'aplomb, il papote avec plaisir. Pas de faux-semblant, nulle langue de bois, Sheller cause cash ! « Vous l'aimez bien, mon album ? Moi sans plus ! Il ne m'affole pas... »
Et ce n'est pas de la fausse modestie. Il a passé l'âge (69 ans) pour cela. Sa discographie, forte de quatorze albums studio, en quarante ans, il l'analyse sans détours. « Vous aimez aussi Simplement (splendide six titres de 1983). Il n'est pas un peu cucul ? L'un de mes préférés, c'est le suivant, Univers(1987). Par sa variété d'inspiration, ses petits clins d'œil faussement XVIIe... J'aime aussi le suivant, Ailleurs, entièrement symphonique... »

« J'ai failli crever »
Avec la même franchise, il évoque sa santé : « J'ai failli crever... Trop de fatigue, trop de pression. Et puis le fantôme de la 70e année qui approche. Je ne m'en rendais pas compte... Arythmie cardiaque et un petit problème de malformation d'une valve... Donc, il me faut prendre des pilules... Certains jours tout va bien. Et d'autres... »
En même temps, il commande un Americano, « mais un peu noyé, avec un peu plus de bulles. Je ne devrais pas, mais c'est bon. »
Des soucis qui ne l'empêchent nullement de continuer les concerts. « Je vais calmer le rythme. Plutôt trois ou quatre par mois au lieu de dix à quinze. J'ai du plaisir à être sur scène, assis derrière mon piano. Le reste m'emmerde : les voyages, les billets de train, les retards. »
Et si vous le taquinez sur les sept ans qui ont séparé ses deux derniers albums, il vous prie d'enlever deux ou trois ans de flottement à cause de diverses contrariétés indépendantes de sa volonté et de sa création. Il est vrai aussi qu'il s'occupe de tout, textes et musiques. Il peut aussi assurer les arrangements et la réalisation.
Là, il pense déjà au prochain. Il a envie de repartir avec un orchestre symphonique, voire une formation personnelle d'une vingtaine de musiciens. « Il faut être lucide, un artiste qui a un certain âge n'existe que par son passé et sa réputation. On ne conçoit pas qu'après la soixantaine, on puisse surprendre : Aznavour, c'est les bras ballants derrière son micro ! Il n'y a que les mômes sur lesquels les maisons de disques pensent pouvoir éventuellement faire un succès monstrueux. Donc, il faut rester sur ce que l'on pense fait pour vous... Moi, c'est un piano et un orchestre symphonique. »
Il ne dit pas qu'il n'y ajoutera pas de guitare électrique : « Liberté totale ! » Il a toujours aimé tout mélanger. Il a même sorti un disque de hard-rock. Tout en avouant que son filet de voix ne convient guère au genre. Il rappelle que la chanson française est avant tout une affaire de « diseurs », pas une question de bel canto. « Brassens, Brel, Bécaud... Ce n'est pas la justesse de la voix qui est importante mais la justesse du dire. »

Quelques fantaisies
Quant à suivre Gainsbourg sur le fait que la chanson soit un art mineur, non. « Elle n'est pas mineure, puisque certaines traversent les siècles. C'est une miniature. La chanson est une miniaturisation de l'art. C'est l'exploitation qu'en font les maisons de disques qui est mineure. »
Question inspiration, pas de problème : il entend toujours des mélodies dans sa tête. « Je ne la perds que dans les moments où la vie, les autres m'emmerdent. » Côté texte, il souffre un peu à les écrire.
Pourtant, son album est l'un des mieux écrits de l'an passé. Quelques chanson de rupture, quelques souvenirs (un magnifique titre sur les enfants du divorce : Les enfants du week-end) et quelques fantaisies...
Par exemple, c'est la nuit où fantômes et sorcières apparaissent... « C'était l'époque du romantisme, des lieder de Schubert où, dans les châteaux, bougies allumées, on chantait des histoires effrayantes, des histoires de pauvres enfants qui se noient dans des lacs. »
Et ses Souris noires, aux yeux rouges? « De l'heroic fantasy, ça m'amuse, ça sent la paille, le cadavre. Je ne veux pas que des trucs roses. Les gens se délectent de séries où il y a du sang partout, alors... Mais je ne prononce jamais le mot sang. Tout est suggestion. »
En concert le 8 octobre à Brest (au Quartz) et le 16 décembre à Nantes (à la Cité des Congrés).