Le Figaro
27 octobre 2015

Entretien
William Sheller : "Je ne collerai pas à la mode"

(par Olivier Nuc)



Rare dans les médias. le chanteur français présente son nouvel album, Stylus. Un sommet de raffinement dans une carrière soignée.

Retiré dans le Loiret depuis près de quine ans, William Sheller cultive une image d'ermite qui ne colle pas si bien à la réalité. Souvent en tournée, très connecté au monde via Internet, il ne vient plus à Paris que pour raisons professionnelles. Stylus est son premier album depuis Avatars, en 2008. Aux climats pop sixties de cette partition, Stylus répond par un dépouillement piano cordes qui sied à merveille aux divines mélodies du chanteur qui s'apprête à reprendre la route. Avant de partir répéter à Liège, il est passé par la capitale afin d'acheter des chemises noires pour la scène.

- Le Figaro : « Stylus est votre premier album en sept ans. Quel en a été le déclic ? »

- William Sheller : « J'avais donné beaucoup de concerts. Au bout d'un certain nombre de mois, on s'emmerde sur scène. Et puis il est arrivé un moment où mon producteur m'a dit : "Ce serait bien qu'on ait quelque chose de plus au répertoire pour continuer la tournée." J'avais des bouts de mélodies, mais qu'est-ce-que j'allais raconter ? J'ai commencé à enregistrer la musique avec Alix Ewald, qui vient du classique, et fait un travail magnifique de prise de son. Le textes, je n'y arrivais pas. C'est toujours à la fin que je m'y colle. J'admire les gens qui écrivent facilement, comme Jean-Louis Murat. Ou Manset. On est hors métier, lui et moi. Mais je suis un peu plus putasse que lui : je vais sur scène et je fais de la promo avec des photographes qui me demandent de regarder en l'air sans sourire. »

- « Le disque est à l'opposé d'Avatars en matière de couleur sonore... »

- « Ce n'est pas le même jeu sixties. Cette fois, je suis allé dans le surréalisme. La première chanson, Youpylong, c'est un plan rigolard à la Lennon. Les Souris noires, je l'aime bien, parce qu'elle a un côté Baudelaire. En entendant ça, on m'a parlé des poilus de la guerre de 14. Alors que je parle de princes et de longues robes ! »

- « Il y a une patte XIXe siècle sur le disque... »
- « C'est vrai. Mon maître était élève de Fauré. J'ai eu une éducation harmonique influencée par les Beatles quand la vague est arrivée, mais j'ai quand même appris l'harmonie avec les musiciens du début du XXe. Ca me plaît quand ce n'est pas sur trois accords. On a l'impression que tel accord va arriver et hop, ça glisse sur un autre. J'aime ça. Mes chansons sont peut-être trop riches pour certains. On m'a reproché d'écrire des choses contournées par peur de faire mièvre. Je préfère quand ça serpente. »

- « Lux æterna, votre messe de 1972, est devenu l'un des disques les plus collectionnés du marché... »
- « On va le ressortir en vinyle, j'en a récupéré les droits. C'est devenu un truc culte, ce qui est très bizarre. Il s'est vendu piraté en Australie par paquets de 2000, de 5000. Là, tout est réglé, je dois négocier avec Universal Music pour en faire une version luxe, mais à un prix abordable. »

- « Vous êtes heureux de retrouver la scène ? »

- « Nous cherchons des villes avec de beaux endroits où jouer. Nous serons 21 sur scène. Depuis les années 1980, je ne joue qu'avec des Belges. J'ai fait plus pour la musique belge à l'étranger que les Belges eux-mêmes. On s'amuse comme une famille de 20 personnes qui s'entendent bien. »

- « Votre carrière est paradoxale. Vous avez commencé avec de gros tubes avant de prendre des risques plus importants ensuite... »
- « Je suis une tête de lard qui ne fais que ce qui me plaît. Je ne ferai pas quelque chose pour le public, je n'irai pas me coller à ce qui est à la mode maintenant. Et puis j'ai conscience de mon âge [69 ans, NDLR]. Je me demande qui va tenir, dans les petits jeunes. Après, il faut faire preuve de quelque chose. »

- « Vous avez eu une descendance assez riche, avec Vincent Delerm, notamment... »

- « C'est un gars que j'aime bien. Il était presque môme quand il a entendu mon album en piano solo. Mais c'est un ancien, maintenant. C'est comme Jeanne Cherhal, elle progresse. Il y en a quelques-uns comme ça. Je reçois aussi des albums comme on n'ose pas imaginer, avec des sons pouet-pouet pas possibles. Parfois, rien que la pochette permet d'imaginer la voix de la fille. Je suis un admirateur de Stromae. Il y a de la créativité là-dedans. C'est beau, c'est élégant. Les textes collent si bien sur la musique. Christine & The Queens, ça sort du lot aussi. Si on pouvait en avoir un peu plus. Je les ai découverts sur YouTube. Je n'écoute plus la radio, à part Radio Classique, le soir pour m'endormir. Ça me fait oublier les gens et les emmerdes. »

- « Vous avez écumé les plateaux de télévision, à vos débuts. Comment l'avez-vous vécu ? »

- « J'allais chez Guy Lux avec de la cocaïne plein le nez. C'est Christophe qui m'a initié. On faisait ces espèces d'émissions de radio en province. Un soir où j'étais crevé, je l'ai croisé derrière la scène, il m'en a donné. J'avais de la très très bonne. J'étais devenu client chez le fournisseur de Mourousi. Le gars arrivait au rendez-vous avec son attaché-case et des échantillons.Je repartais avec mes dix grammes, tranquille. Mais tout ça, c'est fini. Et puis la coke d'aujourd'hui est dégueulasse. »

- « Vous vous sentez proche de qui, dans cette génération de chanteurs ? »

- « Michel Jonasz. Qu'est-ce qu'il écrivait bien ! Après, il est parti dans des délires jazz, puis végétarien, passant trois heures à faire de la cuisine dans le studio. Son titre les Odeurs d'éther, je voulais le chanter. »

- « Que pensez-vous de l'attente autour de Michel Polnareff ou de Renaud ? »

- « Je ne sais pas si ça intéresse Polnareff de revenir avec un album, sinon, il le ferait. Il a un statut d'icône. Il y a eu de très belles choses chez lui, comme Le Bal des Laze, mais aussi des trucs faciles comme Tous les bateaux, tous les oiseaux. Sur la longueur, Renaud a beaucoup mieux tenu la route. »

 * Stylus, Mercury/Universal.

* Les 8 et 9 décembre aux Folies Bergère (Paris IXe)