Sur notre carnet à spirale, on avait bien coché la date du rendez-vous. A l’hôtel Cavendish de Cannes, on retrouve William Sheller avec ce petit air de savant fou sur des machines absurdes. Touche à tout de la musique populaire. Avec le pli capillaire impeccable d’un concertiste classique. Mais aussi l’extravagance d’un esprit rock, dans une âme de conservatoire. Entre les deux, le chœur du musicien continue de faire la balance.
« J’ai besoin de l’un comme de l’autre, rock et classique, c’est comme une respiration. C’est pour ça que j’ai aimé le rock progressif, cette tentative de mélanger les deux. J’ai l’impression d’avoir d’abord vécu la vie d’un grand fauve de la musique, de la chanson, dans tous les styles possibles. »
On l’imagine volontiers enfermé en studio comme dans un labo, à virevolter avec fièvre sur les touches de son piano pour mettre le son en harmonie avec les mots. Docteur Folamour, pour mélodies romantiques.
« Je prend ce qui me tombe dans l’oreille, je fais ce que j’entends et ce que je sais faire. Si ça plaît, tant mieux, mais quand j’ai une mélodie en tête, je ne vais pas me priver. »
Ce soir, il partagera tout ça avec le public des Nuits du Suquet. Sheller en solo mais pas en solitaire. Concert intime mais pas intimiste. Avec l’impression de s’inviter chez William. Touche à touche, sur la pointe des pieds.
« Quand je suis entouré de mes musiciens, le spectacle semble sortir de la salle pour aller à la rencontre des gens tandis que là, je les attire à mon piano comme à la maison. D’ailleurs, je leur parle, je leur raconte des anecdotes, comme dans les anciennes veillées de campagne. »
Paroles et musique. Il aurait pu se contenter de n’être qu’un brillant compositeur. La grande Barbara l’a forcé à ne plus se cacher derrière ses notes. A donner de la voix, comme un autre don de soi. « Avant de la rencontrer, j’avais fait un premier essai, c’était une catastrophe ! Mais quand j’ai orchestré ses morceaux chez elle, elle m’ a dit : "Tu devrais chanter". Quand une dame comme ça vous donne ce conseil, on se dit pourquoi pas.», sourit cet incurable timide.
Le succès, les Rock’n’roll dollars lui sont tombés dessus. Jusqu’à l’overdose parfois. Et puis il y a eu LA chanson. « Pourquoi les gens qui s’aiment… », pour le meilleur et pour le pire ! « A la fin, ça m’a gonflé ! Je ne comprends pas du tout le succès de cette chanson. Le texte n’est pas trop con et la mélodie est jolie, mais quand même ! fait-il mine de s’indigner avec humilité. Je suis content que cette chanson soit entrée dans le patrimoine musical français mais, depuis, elle me bouche un peu la vue… et l’ouïe ! »
Qu’importe. A 66 ans, William n’est pas sourd pour autant. Prépare un nouvel album pour l’automne, et rêve d’opéra. Alors, un homme heureux ? « Je préfère pas ! Le bonheur est un cul-de-sac. D’ailleurs, on dit un imbécile heureux. »
On se contentera donc du musicien comblé, et inspiré. Ça suffit largement à notre bonheur du soir.