Dernières Nouvelles d'Alsace N°46200
(éd. de Strasbourg)
16 avril 2011
-concerts piano-solo des 14 et 15 avril 2011 à l'Illiade d'Illkirch-Graffenstaden-

Musique
Instants suspendus
(par
Iuliana Salzani-Cantor)

 

Sur la scène de l'Illiade, le face-à-face entre William Sheller et son piano se jouait, jeudi soir, à guichet fermé.
« L'homme heureux » défilait, au gré de nostalgies en dentelle, les plus beaux succès de sa carrière. Simplement, comme dans sa célèbre chanson, il entre en scène. Sans artifices, de la même manière dont il a mené trente ans de création musicale, il opte pour une discrétion élégante et un verbe raffiné. Devant son piano, qu'il dit ne pas bien connaître, William Sheller courbe son allure, pose ses doigts tendrement comme pour le remercier de sa fidélité.

À 65 ans, celui qui voulait être Beethoven sinon rien, remémore ses titres avec pour seule compagnie, ce piano noir inondé de lumières feutrées. Au départ de ce voyage nostalgique, Oh, J'cours tout seul, et Les miroirs dans la boue. À l'arrivée, Un homme heureux, Dans un vieux rock'n'roll et Le carnet à spirales. Entre ces deux points, il déroule des anecdotes autobiographiques, pour amener chaque chanson à sa place.

Une veillée au coin du piano

Des États-Unis à Paris, en passant par la Bretagne ou la Sologne, toute évocation de Sheller devient image. Il y invite Barbara, Yvonne sa voisine et Madame Butterfly. Des notes mutines et espiègles animent les interventions verbales à l'humour épanoui, pour se prélasser ensuite dans des mélancolies musicales profondes. Nicolas, Genève, Ma mère est folle, Simplement ou Félix et moi ponctuent la traversée.

La voix chaude et posée berce. Les lumières se parent, ici et là, de rouge intense ou bleu nuit. Succinct, mais divinement efficace ; le tour de chant prend les allures d'une veillée au coin du piano. Et ce sens de la mise en scène, comme les histoires inspiratrices de ses chansons, lui vient de loin. Précisément, de cette enfance qu'il évoque avec l'œil pétillant. Fils d'un musicien de jazz américain, petit-fils d'une ouvreuse au Théâtre des Champs-Elysées et du décorateur en chef de l'Opéra Garnier, William nourrit son imaginaire de couleurs vives et répliques marquantes. Puis, il part à la conquête de la musique via le piano, sous l'observation attentive d'Yves Margat, ancien élève de Gabriel Fauré. Depuis, le rock, le pop et la variété ont pris le dessus sur le classique, mais l'exigence et la rigueur demeurent intactes.