24 Heures
17 octobre 2009
-interview avant un concert piano-solo à l'Octogone de Pully (Suisse) le 22 octobre 2009-

« Je ne suis pas une star. Je suis un musicien »
(par Corinne Jaquiéry)



William Sheller sera à Pully jeudi prochain pour un concert en piano solo. Une démarche que ce chanteur hors normes privilégie par besoin de liberté. Interview.


Celui qui voulait être un homme heureux prend des chemins de traverse pour y parvenir. De la recherche de ketchup pour son hamburger à celle de son amour égaré dans un carnet à spirale, William Sheller partage sa mélancolie entre symphonie et pop légère. Entretien par le biais d'internet.

- « Dans Avatars, votre dernier album, vous avez réussi à rendre l'univers d'internet fantastique et romantique. Est-ce votre défi, transformer le monde et la réalité ? »
- « Il faudrait être fou pour s'imaginer transformer le monde avec ce qui n'est que du rêve ou de la fantasmagorie. Je me contente de transformer, pour quelques instants, le quotidien souvent difficile de ceux qui m'écoutent. Voir leur sourire et leurs bras tendus vers la scène me fait comprendre que j'ai réussi. Si je devais naïvement me sentir une mission, ce serait celle-là. Je préfère cependant la réalité, parce qu'elle est humaine et palpable. La virtualité repose sur des technologies bien réelles au départ, mais, ensuite, le risque est grand de s'y perdre et de s'isoler. »

- « La musique est-elle un moyen d'échapper à la tristesse des choses ? »
- « La musique qui me vient en tête n'a bien souvent aucun rapport avec le sentiment du moment. On peut "entendre" des airs joyeux dans les pires situations, comme esquisser des mélodies languissantes à pleurer dans la tiédeur d'un soir où l'on se sent bien, entouré de gens que l'on aime. »

- « En quoi Gabriel Fauré, "maître de votre maître", et son sens aigu de la mélodie et de l'harmonie, vous influence-t-il encore ? »
 - « C'est du domaine de l'assimilé, avec une prédilection pour certains enchaînements d'accords qui apparaissent délicatement là où on ne les attend pas, même si je me suis aussi nourri d'autres musiques, comme Stravinski ou les Beatles. »

- « La poésie est-elle, selon vous, la garante d'une certaine élégance de la pensée ? »
 -«  Pas toujours. Certains poèmes de Rimbaud se sont voulus inélégants. Brassens en a choqué plus d'un. C'est une vision personnelle, penser les verbes autrement, ou bien détourner les mots de leur sens premier. »

- « Que représente pour vous le public de vos concerts ? »
 - « Des gens. Pas un public. Des personnes venues pour passer une soirée dans un univers qu'ils aiment ou qu'ils ont envie de découvrir. Des gens de tous les âges et de tous les milieux qui ne viennent pas entendre des tubes à la mode, mais écouter des histoires musicales. Un reste de ce que pouvaient être les veillées de nos anciens. »

- « Etes-vous un chanteur et musicien populaire ou avez-vous envie de l'être ? »
- « Votre deuxième question répond en quelque sorte à la première. Je ne suis pas un chanteur populaire qui passe souvent à la télévision et s'affiche dans les magazines aux rubriques people. Je ferais plutôt partie de l'inconscient collectif, en ayant semé quelques chansons qui restent dans le patrimoine. C'est déjà beaucoup. J'en aurais l'envie que je ne le pourrais pas, j'ai à côté des activités musicales parallèles. J'écris aussi de la musique de chambre ou des pièces symphoniques. Tout cela prend beaucoup de temps et il faut choisir. Je ne suis pas une star, je suis un musicien. Et je suis tellement bien comme je suis. »

- « Quels sont les projets qui vous stimulent aujourd'hui ? »
 - Je ne sais pas encore, j'ai un tas de musique dans mes cartons dont j'ai très envie de faire quelque chose, il faut seulement que je fouille dedans et fasse le tri pour savoir quoi exactement. Mais le piano va revenir en force. »   

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* Pully, Théâtre de l'Octogone, jeudi 22 octobre à 20 h 30.

Le piano en solitaire pour échanger des confidences


ÉCLAIRAGE. En 1984, les musiciens de William Sheller sont retenus à la frontière belge après une altercation avec les douaniers. Le chanteur, lui, peut passer. Il décide de se produire seul au piano. Depuis, il y a pris goût.
« C’est la liberté de jeu. Je me sens moins tributaire des barres de mesures, et un piano peut sonner comme un orchestre. On a pu, avec bonheur, réduire des symphonies de Beethoven au piano, mais les tentatives d’orchestrer Chopin n’ont jamais été de grandes réussites. Plus modestement, en ce qui me concerne, j’aime l’intimité que le piano fait naître avec le public. Ce n’est plus un spectacle qui se projette de la scène vers la salle, c’est un univers qui attire la salle autour de l’instrument, comme pour échanger des confidences. »