La Nouvelle République
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20 mai 2009

Festival L'Air du temps 2009
William Sheller : l'homme chic et sentimental

(par Matthieu Le Gall)



Journaliste, productrice, présentatrice de l’émission Le Pont des artistes sur France-Inter, Isabelle Dhordain s’est penchée sur le mystère de "mister" William Sheller. Samedi, aux Bains, elle présente une conférence chantée sur l’auteur d’Un homme heureux, aux côtés du chanteur Franck Monnet.



- NR : « Quel est ce "mystère Sheller" ? D’abord, y’en a-t-il un ? »
- Isabelle Dhordain : « On le saura à la fin de la conférence ! En fouillant dans toute son œuvre, pour préparer ce rendez-vous, je me suis rendu compte à quel point la notion de double était importante chez William Sheller. D’abord avec son nom, emprunté à Mary Shelley, la créatrice de Frankenstein et au poète allemand Schiller. Ensuite, dans sa généalogie, franco-américaine. Enfin, dans son comportement quotidien, toujours entre distance et chaleur. C’est quelqu’un qui peut être très drôle, mais aussi très triste. Il est tout le temps dans cette ambivalence. Je pense aussi au contraste, dans ses compositions, entre la musique classique et la pop. »

- NR : « Ce mélange ente pop classique, ces chansons piano-voix, c’est la marque de fabrique de William Sheller ? »
- Isabelle Dhordain : « On le retrouve chez certains chanteurs(ses) de cette génération, comme Julien Clerc et Véronique Sanson. Mais c’est vraiment Sheller qui se détache le plus, par goût pour la musique classique. Petit, il disait qu’il voulait être Beethoven, et aujourd’hui encore, il va se mettre au piano et jouer du Chopin. C’est quelqu’un qui s’imagine seul derrière son instrument, à la manière d’un soliste classique. C’est la même posture. Il a d’ailleurs fait un album classique avec le quatuor Parisii. »

- NR : « A-t-il des héritiers ? »
- Isabelle Dhordain : « Beaucoup d’artistes se réclament de Souchon, de Gainsbourg ou plus récemment de Bashung, mais très peu se réclament de Sheller. C’est un peu de sa faute : il ne cherche pas la reconnaissance de la nouvelle génération pour pouvoir durer, contrairement à des gens comme Gréco… Après, ça lui fait plaisir d’entendre un garçon comme Benjamin Biolay se réclamer de son travail. Je sais que Florent Marchet est, lui aussi, un fan total de William Sheller. N’oublions pas que c’est un homme très réservé, peu démonstratif, qui n’étale pas ses sentiments. »

Tout le monde se tait, il ne faut pas déranger.


- NR : « Pourquoi parler de Sheller aujourd’hui ? »
- Isabelle Dhordain : « J’ai l’impression qu’il y a, dans la chanson française actuelle, un retour aux années 1970. Il n’y a qu’à écouter les albums de Vincent Delerm, qui adore Michel Berger. On revient vers cette variété-là. Et parfois, il faut y voir un certain opportunisme. On parle aussi de retour au texte. Mais où sont les grands poètes ? Franchement, à part Dominique A ou Miossec, les chanteurs n’ont pas grand-chose à dire. Quoiqu’il faille peut-être nuancer : les artistes issus du hip hop ont généralement des choses à dire. »

- NR : « Pourquoi ce vide ? »
- Isabelle Dhordain : « Je ne sais pas. C’est sans doute le reflet de notre société. De cette génération qui, franchement, ne râle pas beaucoup. Tout le monde se tait, il ne faut pas trop déranger. »

- NR : « Votre chanson préférée de William Sheller ? »
- Isabelle Dhordain : « Je ne vais quand même pas dire Un homme heureux… J’aime beaucoup ce que fait William, et ce avant Le Carnet à spirale. Dans un vieux rock’n’roll ? Je l’ai encore en vinyle, tiens ! Fier et fou de vous, j’ai adoré. La vache, qu’est-ce qu’il en a fait ! C’est très compliqué d’en choisir une. »

- NR : « Comment avez-vous choisi les chansons de la conférence ? »
- Isabelle Dhordain : « Là-encore, c’était très compliqué. To you, la première, illustre ce que j’appelle le style yaourt de William Sheller. Il n’écrit pas les mots avant la musique. Un mot lui vient sur une mélodie, il l’utilise à cause de sa sonorité. Nous avons choisi, avec Franck Monnet, des chansons en fonction du propos bien sûr, mais aussi des époques et des angles choisis.»

Il nous parle d’art, pas de produit

 - NR : « Savez-vous s’il a réagi à cette initiative, au fait qu’il soit le sujet d’une conférence ? »
- Isabelle Dhordain : « Je crois qu’il était plutôt fier. Mais ce n’est pas quelqu’un qui saute au plafond, ou qui va vous téléphoner pour vous remercier. Il est modeste, discret, mais il est également ambitieux. William Sheller est vraiment quelqu’un de très ambitieux. Depuis tout petit, il aspire à devenir quelqu’un d’autre, quelqu’un de différent. Il n’a d’ailleurs jamais supporté qu’on lui dise que la chanson était un art mineur ».

- NR : « Y a-t-il des choses que vous ne connaissez toujours pas sur lui ? »
- Isabelle Dhordain : « Je ne sais pas s’il est croyant… Mais je pense que oui. C’et un homme très engagé en musique, mais qui ne livre rien de lui. Plus il se protège, plus il représente quelque chose d’important pour le public. Les plans médias, le marketing, toutes ces choses dévoilent beaucoup trop sur les artistes. On va trop loin. La chanson, c’est d’abord fait pour rêver. »

-  NR : «  Que représente William Sheller, pour vous ? »
- Isabelle Dhordain : « Je l’aime beaucoup, cet homme-là. C’est un homme qui nous parle d’art. Pas de produit. Son personnage correspond assez bien à l’esthétique romantique, celle d’un homme libre qui paye cher sa liberté. Sheller est chic et sentimental. Et c’est un écorché-vif qui comme tous les artistes, est sensible au succès ou à l’échec de ses disques. »

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Conférence chantée consacrée à William Sheller avec Franck Monnet.
Samedi 23 mai à 11 h 30 aux Bains-Douches de Lignières.