Valeurs actuelles N°3764
15 au 21 janvier 2009

Profil/Musique
Le compositeur interprète franco-américain s’est imposé comme l’un des meilleurs
stylistes de la chanson française.

William Sheller

(par Nicolas Ponse)



Son éternelle allure de joueur de base-ball des fifties rappelle ses origines familiales. Très jeune, William Sheller devient l’élève d’Yves Margat, disciple talentueux de Gabriel Fauré, qui l’initie aux mystères des fugues et contrepoints ainsi qu’au latin. Nourri tout autant par Bach, les Beatles ou Tacite, il rejoint en 1966 le groupe de rock niçois The Worst interprétant les standards dans les bases américaines. Trois ans plus tard, pour la messe de mariage d’amis, ce touche-à-tout, bousculant l’univers du classique, leur offre Lux aeterna, œuvre singulière associant déjà orchestre symphonique, chœurs et vocal rock, des télescopages musicaux qui deviendront dès lors sa marque de fabrique.
Sur les conseils de Barbara (séduite par sa participation à son album La Louve), le musicien compositeur se décide à passer de l’autre côté du miroir en devenant interprète. Au milieu des années 70, le public découvre Rock'n'dollars, titre ironique précédant une kyrielle de tubes (Le Carnet à spirale, Symphoman, Les Filles de l’aurore, Nicolas, etc…). Avec une carrière moderato, sans tapage, Sheller, orfèvre des sentiments, devient au fil du temps l’un des plus grands stylistes de la chanson française, remarqué pour ses paroles acidulées et légères (seulement en apparence), laissant à l’esprit des mélodies au charme suranné ou des orchestrations symphoniques envoûtantes. « Pour moi, la composition a un côté surnaturel comme si le morceau existait déjà en moi, les notes traversent mon esprit à tout moment de ma vie ; c’est sans doute pour ces raisons que j’apprécie les poètes dans la lignée des surréalistes comme Eluard, Cocteau, Prévert. »  
Un beau jour, à la suite d’une altercation entre ses musiciens et les douaniers belges, William Sheller se retrouve contraint d’assurer seul un récital au piano sur la RTBF ; c’est son chemin de Damas : le pianiste prend son envol et arpente le plat pays, donnant ça et là des concerts en piano solo. Pour le 1er Festival Radio France de Montpellier, il compose sa Suite française pour orchestre créée par l’Orchestre national du Languedoc-Roussillon, puis enregistre Univers et Ailleurs, deux albums aux tonalités rétrofuturistes projetant des éléments du passé (geste médiévale, chevalerie, cour impériale d’Edo) vers un futur aux confins de la science-fiction.
Sortir cet hiver, son dernier « concept-album », Avatars est plus inspiré par ses navigations au long cours sur le Toile que par les incarnations multiples du dieu hindou Vishnou : « J’ai imaginé un voyage immobile avec des personnages apparaissant au fil de l’histoire, d’autres "moi" que l’on s’invente en évoluant dans des mondes virtuels sur des sites comme Second Life. »
A l’heure d’une industrie musicale de la chanson française surtout formatée pour les bobos trentenaires, l’auteur-compositeur-interprète protéiforme demeure un artisan, laissant du temps au temps, livrant parcimonieusement ses albums au moment qu’il juge opportun, peaufinant textes et mélodies. A rebours du show-biz, cet artiste élégant, un brin misanthrope, vit désormais dans un petit village de Sologne aux confins du monde fantasmagorique du Grand Meaulnes. Le rêve de ce féru de nouvelles technologies décidément déroutant ? « Ecrire un Opéra en 3D, pas une comédie musicale à la mode mais plutôt mélanger voix lyriques et variétés ». 

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Avatars, un CD Mercury-Universal.