Télémoustique N°4324
10 au 16 décembre 2008

MUSIQUE/interview/Il sort un album concept
William Sheller
"Carla Bruni n'est pas ma collègue"

(par Jérome Colin)




Sentimental au caractère de chien, il a choisi le look poilu pour illustrer la pochette d'Avatars.
Un homme heureux ? Pas sûr !

William Sheller est insaisissable. Il a écrit des symphonies, collaboré avec Barbara, signé quelques tubes de rock, des ballades devenues classiques. Il s'est essayé en solitaire avant de s'attaquer aux musiques électroniques ou à la formule quatuor à cordes. Sheller est d'ailleurs mieux qu'insaisissable, il est unique. Cette façon de fouiller partout, de n'être jamais contenté est une marque de fabrique chez lui. Le miroir d'un homme déçu, fâché aussi. S'il n'est pas toujours agréable, il reste passionnant. Il peut aussi paraître aigri. Il ne l'est pas. Il cherche encore.

Pessimiste, l'homme n'y croit plus du tout. Mais loin de déposer les armes, il a cru trouver un nouveau souffle dans les réalités artificielles. Ici aussi, il s'est pris une claque. C'était sur le site de www.secondlife.com, un univers virtuel en trois dimensions qui permet au joueur/acteur de vivre une seconde vie. C'est dans le cadre de ces sociétés parallèles qu'il a décidé de poser l'histoire de son nouvel album concept Avatars. Entre pop symphonique et rock progressif, il nous chante l'existence d'une belle galerie de personnages. Rencontre avec un homme à tête de chien !

- Télémoustique : « Un disque sur les nouvelles technologies. C'est surprenant de la part d'un homme né en 1946 ? »

- William Sheller : « Je suis branché sur Internet depuis 1992. C'était la préhistoire quand il fallait encore attendre trente secondes avant que ne s'affiche une image. Nous n'étions que quelques-uns. Petit à petit, c'est devenu un outil quotidien. Pour la petite histoire, ma chère maison de disques a attendu 2001 avant d'instaurer l'e-mail. Et aujourd'hui, elle a le culot de se plaindre de ce qui lui arrive ! »

- « Nous sommes à l'ère du sexy. Les avatars et Internet sont pourtant loin de l'être...
»
- « Mais je ne veux pas faire un truc sexy ! Vous m'avez regardé ? Qu'est-ce qui est sexy ? Beyoncé qui montre ses fesses et son 90 C et fait remuer le tout ? Ça n'a rien à voir avec de la musique, ce sont des sonneries de téléphone. Je n'ai pas voulu faire un disque sur la technologie, mais bien sur les mondes virtuels qui promettent beaucoup de choses au départ. »

- « Et ? »

- « Et qui finissent par vous décevoir. Lorsqu'on les traverse, on s'attend à rencontrer de l'utopie, des idées originales, marginales, géniales. Il n'y a pratiquement rien de tout ça. On y rencontre surtout des cons qui reproduisent bêtement la réalité. Ils bâtissent des maisons et créent de l'argent. Merde, c'était l'occasion d'un autre monde. Eh bien non, là aussi, c'est chacun pour soi et l'on ne pense qu'à consommer. En fait, chacun y fait sa pub. C'est "Regarde-moi, je vais te vendre ma merde !". »

- « Pourquoi reproduire les mêmes choses dans les réalités virtuelles ? »

- « Parce que l'être humain est incapable d'être autre chose que ce qu'il est. Une espèce de mammifère qui ne peut que souiller sa couche et bouffer ses semblables. Ça rend misanthrope de se trimballer là-dedans. »

- « Vous pensiez y trouver un nouveau souffle ? »

- « En tout cas une nouvelle génération. Je croyais y trouver des jeunes avec de nouvelles idées, loin du monde pollué par le pognon et la politique. Ce que j'y ai trouvé finalement, c'est la matière de cet album. Un monde où des milliers de vies se croisent et où il y a donc des milliers d'histoires à raconter. »

- « Dans la première chanson, vous dites : "Jamais un meilleur monde, de tout temps n'a été ?" Vous plaisantez ? »
- « Ce n'est pas moi qui parle, mais le personnage. C'est l'ouvreur qui invite à entrer dans le monde virtuel. Il fait une promesse. Je joue des personnages. Est-ce que c'est clair ? Tout ça, c'est à cause des gratteux qui nous ont pollué les oreilles avec leurs petits malheurs. "Je vais refaire le monde. Je vais refaire ceci. Je suis malheureux". Des coups de pied au cul ! C'est fini les "moi je". Les romans c'est la même chose, ils parlent tous d'eux à la première personne et oublient de raconter des histoires. C'est pour ça que je n'en lis plus. »

- « Mais qu'est-ce qui vous fait jouir là-dedans ? »

- « De regarder ! Le voyeurisme malsain de l'être humain. Je l'assume. Je regarde l'homme et je me dis: "Dites donc, ça vote, ça ! ". »

- « Et la musique dans tout ça ? »

- « Elle reste essentielle. C'est la seule chose qui me garde réellement en vie. Il y a un côté rock progressif dans le disque, car j'ai ressenti la nostalgie d'une époque où on essayait des choses. Maintenant, c'est Carla Bruni qui chante avec sa guitare, la voix bien en avant pour que tout le monde comprenne bien ses petits textes. »

- « Attention, c'est la première dame de France et en plus c'est une collègue tout de même ! »

- « Je m'en fous, Carla Bruni n'est pas ma collègue. Elle n'a pas écrit de symphonie. En France, c'est aussi devenu la politique people. Entre 1968 et 2008, soit en quarante petites années, les rêves se sont envolés. On est passé très vite de l'utopie au coup de massue. La pipolisation est notamment responsable de ça. Tout a commencé doucement quand les dirigeants de gouvernement ont commencé à donner leur image aux publicistes. C'était foutu. Il n'y avait plus de vérité. C'était la naissance de la génération Voici ! »

- « Vous trouvez ce monde aberrant alors ? »

- « Non, je le trouve con, mais on ne peut rien y faire. Ça ne sert à rien et ça ne va pas s'arranger. Je suis devenu fataliste. Je fais partie d'une génération utopiste. Un jour, on a réalisé que malgré nos rêves, tout avait été récupéré, vendu et acheté. Je ne fais plus confiance en l'avenir. Et d'ailleurs personne n'y croit plus vraiment. Il n'y a plus de folie, de projection, tout est consensuel. On ne rêve pas en l'avenir, on ne crée pas pour l'avenir. On vend des noms aujourd'hui, plus de la qualité. »

- « On vend du William Sheller ? »

- « Oui, ça se vend. Mais je ne sais pas si c'est à cause de mon nom ou de la qualité. Au moins, ça prouve que ça parle un peu à quelqu'un, à l'intérieur. »

- « Le succès vous intéresse-t-il encore, le single
Tout ira bien est taillé pour les radios ? »
- « C'est une chanson qu'on peut chanter sous la douche, un truc influencé par les Beatles. J'aime la vraie musique pop mais aujourd'hui, peu d'artistes me touchent réellement. Il y a Camille, mais c'est en dents de scie. Un coup, c'est génial. L'autre, c'est n'importe quoi. J'aime bien Arctic Monkeys aussi, une pop sans prétention qui va droit au but. »

- « Pour vendre, vous auriez pu aller à la Star Academy. »

- « Mais je foutrais des baffes aux professeurs. Ils disent de ces conneries. La pire, c'était la fille d'Alice Donna (Raphaëlle Ricci). Ils font chanter aux gosses des chansons qui ne sont pas faites pour eux, des chansons stupides dans lesquelles il n'y a rien à interpréter. Dans un univers virtuel, on pourrait inventer un jeu où l'on doit tirer sur les candidats pour les éliminer. Genre au bazooka ! »

- « Bonne soirée, William. Portez-vous bien ! »

- « C'est ça ! A la prochaine. »

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Au Théâtre 140 les 26, 27 et 28 mars 2009.