Le Monde
26 janvier 2008

-Une-
Avec Sheller, la musique classique devient divertissement



Rares sont les chanteurs de variété à se lancer dans des œuvres musicales classiques : une symphonie de William Sheller était programmée à côté d’œuvres de Mozart, Berlioz et Ravel, vendredi 25 janvier, au Théâtre du Châtelet, à Paris. « C’est une œuvre de divertissement. Je ne fais pas de la musique sérieuse, je cherche à faire de la distraction intelligente», explique l’auteur. Goûtant peu la musique atonale et la musique contemporaine, « qui ressemble à une musique de film d’horreur », William Sheller refuse les catégories et place haut Stravinsky, les Beatles et Pierre Boulez. 
Lire pages 26, 24 et Débats page 22.

Les "divertissements" de William Sheller
(par Bruno Lesprit et Marie-Aude Roux)



Une symphonie du chanteur est au programme du concert célébrant, à Paris, les dix ans de l’orchestre Ostinato.

Occupé par un nouvel album de chansons dont la parution est prévue fin avril, William Sheller participe, vendredi 25 janvier, au dixième anniversaire de l'Orchestre Ostinato, au Théâtre du Châtelet, à Paris. Lui-même issu d'un conservatoire de musique, Sheller a composé, en parallèle à sa carrière de chanteur populaire, des œuvres de musique classique - des quatuors, une Suite française, un Concerto et des Elégies pour violoncelle, un Concerto pour trompette ou encore des pièces symphoniques, comme la Symphonie Sully rassemblées en 2006 dans l'album Ostinato (Mercury-Universal).
Comme il nous l'explique, la frontière entre les genres savant et populaire est ténue chez ce pianiste dont la dernière livraison était un live de ses chansons à succès réarrangées pour le Quatuor à cordes Stevens. Au Châtelet, sa musique (la Symphonie "Sully" et quelques chansons de son répertoire qu'il interprétera) se trouvera au même programme que Mozart, Berlioz, Offenbach, Ravel et Fauré.

- Le Monde : « Nom d'un orchestre et titre d'un de vos albums, l'"ostinato" est d'abord un motif musical sans cesse répété... »
- William Sheller : « Ce mot me plaît : il m'a fallu m'obstiner avec le même acharnement qu'un ostinato rythmique de Stravinsky. Ce concert est le fruit d'une rencontre avec l'orchestre Ostinato qui a créé ma Symphonie "Sully", à l'origine une commande du Festival de Sully-sur-Loire. C'est une œuvre de divertissement. Je ne fais pas de la musique sérieuse, je cherche à faire de la distraction intelligente. J'ai essayé de retrouver le climat des symphonies légères de la fin du XVIIIe. Avant l'époque romantique, où tout a tourné au tragique. J'ai été formé par Yves Margat [lui-même élève de Gabriel Fauré], qui m'a transmis son goût pour une harmonie raffinée à la française. Cela dit, j'aime bien Chopin, qui n'est jamais larmoyant ni mièvre. »

- « L'atmosphère de vos chansons ne respire cependant pas beaucoup la gaieté... »
-« J'aime bien la mélancolie, qui n'est pas de la tristesse. C'est un état émotionnel créatif. »

- « Vous avez délaissé la musique dite sérieuse en découvrant les Beatles. Par quel biais y êtes-vous revenu ? »
- « Elle a toujours été là. Quand j'avais 9 ans, j'achetais du papier à musique et je mettais des notes partout. Je chantais aussi à la chorale La Nuit, de Rameau, et je n'étais pas peu fier. J'ai appris l'harmonie et le contrepoint à la table. Ce qui prime, c'est la musique. Les mots, c'est souvent un pensum. Quand j'écris mes chansons, j'enregistre d'abord toute la musique avec l'orchestre. Je mixe, et après, on me dit qu'il faut mettre un texte. Une mélodie ne se conçoit pas, elle tombe dans la tête. J'aime chanter, raconter des petites histoires avec une musique narrative, un pu dans l'esprit des Lieder allemands. »

- « Comment vous situez-vous par rapport à la musique savante contemporaine ? »
- « La musique atonale, ça va comme ça ! La musique "officielle", qui ressemble à une musique de film d'horreur. L'art contemporain ne veut plus rien dire car tout est contemporain. Il n'y a plus de bourgeoisie à choquer. Je pense que le monde classique a envie d'autre chose. Quand j'écris une œuvre, je pense d'abord à celui qui est assis devant la partition et va la jouer. Il faut donner l'impression que ça a été fait avec facilité, que cela tombe sous les doigts. J'aime bien quand c'est léché et qu'on ne s'en rend pas compte. »

- « Au Châtelet, votre nom côtoie celui de Mozart ou de Berlioz. Comment réagissent les mélomanes ? »
- «  Beaucoup considèrent que c'est un scandale. Cette manie très française du cartésianisme et du classement en catégories... Alors que ça fait très longtemps que le London Symphony Orchestra s'est acoquiné avec des musiciens pop, comme Procol Harum. Ceux qui me suivent sont déjà ouverts à d'autres musiques. Ce sont des gens qui font souvent partie de chorales. Parfois je leur offre un morceau de piano sympa, facile à jouer, sur leur site Internet. »  

- « Avez-vous de nouveaux projets dans le domaine "classique" ? »

- « Oui, j'aimerais écrire un opéra. Pour le livret, j'ai le nez plongé dans les Christmas Carols, de Dickens. Je voudrais mélanger des voix lyriques et des voix de chanteurs de variété. Marier, en quelque sorte, la carpe et le lapin. »

- « Que pensez-vous des "œuvres classiques" de Paul McCartney ? »

- « J'ai écouté son Liverpool Oratorio. C'est dans la tradition des chœurs de collège anglais de  l'époque victorienne. Ce n'est pas une œuvre qui va faire réfléchir les musiciens de notre temps. Mais il y en a peu. Peut-être une trentaine. Le Sacre du printemps, de Stravinsky, Sgt Pepper, des Beatles, et, qu'on aime ou non, Le Marteau sans maître, de Boulez. »

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Ostinato : 10 ans ! Boléro, de Ravel, Symphonie "Sully", de Sheller, Gaîté parisienne, d'Offenbach, Symphonie fantastique (final), de Berlioz, Don Giovanni (sextuor, avec les chanteurs de l'Opéra de Paris), de Mozart, Pénélope (prélude), de Fauré, par l'Orchestre Ostinato, Jean-Luc Tingaud (direction). Le 25 janvier à 19 h 30, Théâtre du Châtelet, 1, place du Châtelet, Paris-1er. Métro Châtelet.