VSD N°1555
13 au 19 juin 2007

Sheller Calogero
Deux poids, même mesure

(par Marc Boujnah)

 


L’un a commencé en bidouillant ses effets stéréo, l’autre a créé les Charts. Ils ne s’étaient jamais rencontrés (1). VSD les a réunis.


Pour l’un 61 ans, pour l’autre 35 : un bon nombre d’années séparent l’auteur de Oh ! J’cours tout seul de l’interprète d’En Apesanteur, mais finalement William Sheller et Calogero se retrouvent au moins sur une notion un peu oubliée dans la chanson française : la qualité.

- VSD : « Sentez-vous un décalage générationnel, entre vous ? »
- Calogero : « Non. Moi, je n’en sens aucun… »
- William Sheller : « D’autant que la musique a moins changé dans les trente dernières années qu’au cours des décennies qui les ont précédées. La grande rupture, ça reste les années soixante, avec l’explosion du rock qui continue d’influencer plein de musiciens. Depuis, il n’y a pas eu d’équivalent. »
- Calogero : « C’est vrai. Même le rap, l’électro et le hip-hop sont des déclinaisons du rock. Mais toi, tu as vécu une vraie révolution, ce n’est pas mon cas. »
- William Sheller : « C’était une époque où toute la jeunesse était branchée sur la même musique, la même esthétique, les mêmes pensées. Il y a trente ans, on croyait au futur, on pouvait se lancer dans la poésie et dans la folie. Aujourd’hui, c’est devenu une immense mosaïque d’un tas de styles, plus ou moins individualistes, et les chansons parlent de choses quotidiennes, de petites histoires de la vie de tous les jours. On veut comprendre et voir ce que visualisent les artistes. Et finalement, l’imaginaire a été remplacé par l’image. »
- Calogero : « C’est vrai qu’aujourd’hui, on est moins abstrait, plus terre-à-terre. On attend d’un artiste qu’il signe des textes qui parlent au public. Pourtant, je pense que Souchon a raison : les foules restent sentimentales et demandeuses de poésie, pas de marketing. »

- VSD : « A qui incombe la responsabilité de cette évolution ? »
- Calogero : « Pour moi, les responsables sont des gens qui ont commencé à s’immiscer dans ce métier sans rien y connaître. »
- William Sheller : « J’ai vu d’anciens marchands de pneus ou de conserves occuper des postes importants dans des maisons de disques. Ils ne sont pas restés longtemps… »
- Calogero : « … Mais ils ont réussi à faire passer des idées très markétées, à définir la musique à partir d’études et de stratégies. »
- William Sheller : « Ce n’est pas nouveau : on s’en plaignait déjà, en 1970. La musique purement commerciale a toujours existé. Mais, en même temps, on se permettait des choses qu’on n’ose plus. On s’amusait… Comme tout le monde n’avait pas de chaîne stéréo, il fallait produire une stéréo lisible en mono. Et donc enregistrer deux fois la même chanson pour donner une fausse impression de stéréo, avec ensuite un mixage épouvantable pour faire coïncider les deux voix, sans automatisation et sans ordinateur. On passait beaucoup plus de temps en studio. C’était très artisanal. »
- Calogero : « Mais ça a lancé par la suite une révolution technique. Je ne sais pas si tu te rappelles, mais la mode dans les années soixante-dix quatre-vingt, c’était que chacun, dans son salon, dispose d’une chaîne avec un super son. C’était hyper-tendance d’avoir une belle acoustique, bien large. Aujourd’hui, la mode est au portable, miniaturisé et compressé. Du coup, on perd la notion du son, tout se ressemble. »
- William Sheller : « Mais imagine aussi que, à mon époque, on écoutait des cassettes sur des magnétophones. Ce n’était donc pas toujours du grand son, non plus… En plus, d’un appareil à l’autre, la vitesse de défilement n’était jamais la même, ça n’était jamais dans le bon ton. Un enfer ! Et je ne te parle même pas des micros à fil dans lesquels tu te prenais les pieds. Aujourd’hui, c’est quand même plus confortable. »

- VSD : « Qu’est-ce qui, de vos points de vue respectifs, n’a pas changé, en trente ans ? »
- Calogero : « Le statut de musicien, en France, est toujours aussi suspect. Depuis trente ans, et sans doute davantage, quand tu es face à une administration qui te demande ta profession, si tu réponds "musicien", on te dit : "Et à part ça, vous faites quoi, comme métier ? " » 
- William Sheller : « Effectivement, cela n’a pas changé, on est toujours vus comme des gens attachants, mais un peu inutiles. »

- VSD : «Quelles observations faites-vous sur les évolutions de votre métier par rapport aux médias, à la notoriété ? »
- William Sheller : « C’est simple : en 1970, on avait quatre radios –RTL, Europe 1, France Inter, RMC-, et sans relations, tu ne pouvais pas placer tes disques. »
- Calogero : « Pire qu’aujourd’hui ! »
- William Sheller : « Mais il y avait beaucoup moins d’artistes, aussi. Et surtout, en quatre émissions, tu avais couvert la France, alors que maintenant, il y a deux cent cinquante chaînes, on est un peu paumé, il faut faire plein de petites télés, plein de petites radios. Tout a été démultiplié ; ça prend plus de temps. »
- Calogero : « D’ailleurs, à un moment, à force d’interviews et de photos, je réalise que je n’ai pas touché une guitare depuis plusieurs jours. C’est un peu flippant…»
- William Sheller : « En fait, il y a une trentaine d’années, on s’amusait davantage, on faisait des émissions pour le fun, pas systématiquement pour vendre des choses. »
- Calogero : « Puis est arrivé le formatage, qui fait que certaines radios demandent aux artistes de refaire leurs chansons, d’enlever des play-back ou de changer un refrain, sinon elles refusent de les diffuser. Certaines FM remontent carrément des versions, en changeant la structure du titre. »
- William Sheller : « C’est comme si on disait à un peintre : "Là, tu retires les bleus, ce n’est pas beau ! " Ils n’oseraient pas faire ça avec un film ! Ça nivelle, ça standardise. » 
- Calogero : «Cela dit, il existe une magnifique scène française qui a réussi à justement passer au-dessus de ça : Cali, Bénabar, Olivia Ruiz, Anaïs, Camille… Leur particularité, c’est de travailler à l’ancienne, à partir de la scène et avec des chansons néoréalistes.  C’est peut-être la meilleure stratégie pour passer entre les mailles du filet : rester libre, c’est puiser dans l’esprit d’il y a trente ans… »

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Leur parcours en parallèle :

1946. Naissance de William Hand, à Paris.
1971. Calogéro Maurici naît à Echirolles (38).
1972. Lux æterna, premier album de Sheller.
1987. Calogéro forme son groupe, les Charts. Sheller sort Univers, son dixième album.
1999. Au milieu des autres, premier album solo de Calogero.
2002. Triomphe d’En apesanteur, tiré du deuxième album de Calogéro, Calogéro.
2005. Sheller sort Parade au Cirque royal, son sublime album live ; et Calogero Live 1.0, le premier.


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Note du site :
(1) En vérité, William et Calogero se sont déjà rencontrés et ont même chanté en duo dans l’émission Taratata diffusée le 5 août 2005.