Vinyl N°56
janvier-février 2007

William Sheller
Chemin de traverse (l'intégrale en 19 CD !)

(par Robin Rigaut)


Depuis le temps qu’on l’attendait ! Voici enfin une véritable « Intégrale » de William Sheller. Près de quarante ans de production en 19 CD (16 CD dont trois doubles) et un DVD, dont on s’aperçoit, à la réécoute, qu’il n’y a rien à jeter.
Après un premier CD intitulé Péchés de jeunesse où l’on retrouve enfin les rarissimes 45 tours publiés de 1968 à 1970 (lire dossier Sheller in Vinyl 9) et l’étrange Lux æterna de 1972, l’intégralité de chaque album studio nous est restituée dans une scrupuleuse chronologie, souvent augmentée de titres uniquement disponibles en face B de 45 tours, donc introuvables depuis longtemps. A l’exception toutefois de la chanson de 1976 Saint-Exupéry Airway retirée de la vente aux doléances des héritiers de l’écrivain et remplacée in extremis par Joker-Poker (extraite du LP) au verso du single dans Un Vieux Rock’n’Roll. Las, Sheller en reprendra la musique note pour note dans Flash assurance limitée en 1977 (in LP Symphoman).
Parfois, ce sont deux LP qui sont réunis sur un seul CD : Dans un vieux rock’n’roll (76) + Symphoman (77) ; Nicolas (80) + J’suis pas bien (81) enrichis de 4 titres en 45 tours ! etc… Sans parler de nombreux enregistrements publics, bandes originales de films et autres parenthèses en quatuor à cordes. De quoi apprécier le brillant parcours sans fausse note de notre William à tête de poire. Jugez-en plutôt :
Gros tabac de 1968 avec My year is a day par les Irrésistibles. OK, c’est pas chanté par Sheller, mais signé par lui et surtout très bien vendu ! Sans cette manne, aurait-il pu faite la suite ? S’ensuivent trois 45 tours dont il n’a pas à avoir honte (le premier co-signé Gérard Manset) et le bizarre Lux æterna de 1972 qui frise la contemplation hébétée (« Etendez-vous et écoutez » est-il indiqué au verso, ben tiens…)
Autre tabac en 1975 avec Rock’n’dollars, titre incompris qui le classera dans les rigolos entre Carlos et Topaloff ! L’album renferme déjà quelques perles : La Maison de Mara, Une fille comme ça, Oncle Arthur & moi et surtout Photos-souvenirs. Dans un vieux rock’n’roll ensuite occultera hélas les bijoux de l’album éponyme (Une chanson qui te ressemblerait, Le Carnet à spirale, C’est l’hiver demain) et Symphoman en 1977 ne manque pas d’allure, chaque titre étant un 45 tours potentiel, et ainsi de suite dans les LP ultérieurs… Cette intégrale permet donc de (re)découvrir de nombreux titres peu ou pas diffusés qui auraient fait le bonheur de nos oreilles si les programmateurs en avaient eux-mêmes (Petit comme un caillou, Quand j’étais à vos genoux, J’attends dans la foule, Maman est folle et tant d’autres oubliés au fond du sillon). Enfin, on mesure pleinement l’extraordinaire étendue de Sheller n’hésitant pas à emprunter, en dépit de toute logique commerciale, de nombreux chemins de traverse : le piano solo (Epures, En Solitaire), le quatuor à cordes (Halvenalf, Quatuors), le classique pur (Ailleurs) et la lave en fusion (Albion), sans jamais une seconde paraître ridicule ! A cet égard, Sheller s’élève au rang des Gainsbourg, Nougaro ou Bécaud (auteur de Cantate et d’Opéra), les seuls à s’être autorisés un tel grand écart musical.
Alors, pas un seul défaut ce coffret ? Si, un minime : l’exiguïté des petites pochettes carton dont un petit millimètre supplémentaire au gabarit aurait permis d’extirper la rondelle sans s’arracher les doigts ou les coller sur la surface irisée ! Autant dire, pas grand-chose, juste « pour dire une connerie » comme dirait l’autre. Indispensable !