Le Journal du Dimanche
13 novembre 2005

William Sheller,le bonheur intégral
(par Carlos Gomez)

 


La totalité de sa discographie vient de sortir dans un format boîte à chaussure.
Ça tombe rien, sa musique est un coup de pied à la médiocrité.

 

DEMAIN soir, William Sheller est sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées. Il ne s’arrête jamais Sheller. Ça fait même 38 ans que ça dure. Ça n’a pas toujours marché aussi fort. En 1969, il engloutit les royalties de son premier 45 tours (My year is a day), dans la production d’une messe symphonique (composée pour le mariage d’une amie), qui mélange classique et rock : Lux aeterna. «Le disque s’est vendu comme des cages à lions», ironise l’artiste, qui s’amuse aujourd’hui de savoir que son œuvre de jeunesse circule sur internet, parfois dans des versions remixées par des groupes japonais, branchés hip-hop. Le disque a été réédité pour la sortie de l’intégrale Sheller, intitulée Chemin de traverse. Lux aeterna n’est pas le disque de Sheller qui ait le mieux vieilli. Mais sur la photo de pochette qui date de 1969, on dirait Kurt Cobain.
Chemin de traverse, c’est seize albums pour réaliser le chemin parcouru par ce fan de Bach, Boulez et Stravinsky, dont la vocation prend un tournant majeur un jour de 1964 (il a 18 ans) où il entend Hard day’s night des Beatles chez une copine. Son prof (un élève de Gabriel Fauré) le prépare alors au Prix de Rome, mais lui désormais voudra faire du rock. En y adjoignant sa connaissance de l’harmonie et du contrepoint, Sheller va mettre au point sa marque de fabrique jusqu’à aujourd’hui. Ses premiers disques comportent une foule de petits refrains délicieux à (re) découvrir. Le très pop Oncle Arthur et moi (dans l’album Rock’n’dollars, 1975) ou encore Le petit Schubert est malade (extrait de Nicolas, 1980).
Une intégrale est un objet d’une formidable indiscrétion. Celle-ci offre un voyage comico-attendrissant dans le temps. Comme tomber sur une boîte de photos qui ne nous appartiendrait pas. Sur un plan simplement anecdotique, elle permet de constater à quel point la mode vestimentaire par exemple peut vite prendre un coup. Surtout celle des années 80. Le Sheller qui compose Nicolas (indémodable) arbore blazer croisé rouge, cravate étroite et fine moustache. Il a plus une tête à vendre des pianos qu’à en jouer. Et pourtant qu’il en joue déjà bien. «Mal dans ma peau, ras-le-bol et grosse fatigue me traînent depuis deux ans», explique William Sheller dans le livret généreusement illustré qui accompagne l’Intégrale. Sans complaisance, parfois aussi avec dérision, l’auteur-compositeur y réexamine son travail. «J’ai annulé une fois un concert, à Liège. La salle était une immense cuve de béton. On lançait une note de flûte, on allait boire un café au bistrot, on revenait, la note était toujours là…»
L’intégrale comporte aussi des enregistrements de concerts. Et notamment Sheller en solitaire (1991), une galette bardée de Victoires de la musique, où figure ce petit modèle d’équilibre qu’est la chanson Un homme heureux : «Pourquoi les gens qui s’aiment sont-ils toujours un peu les mêmes ?»  Tentative d’explication : sans doute parce que jusqu’à se rencontrer, il leur a fallu s’accrocher à une chanson de Sheller.

_______________

William Sheller
, Chemin de traverse, l’intégrale. 16 CD + 1 DVD.
En concert demain soir, avec le Quatuor Stevens, au Théâtre des Champs-Elysées, puis en tournée.