24 Heures
29 septembre 2005

CHANSON
En concert à Morges le 5 octobre

William Sheller,la magie d'un franc-tireur
(par Jean-Philippe Bernard)

 


Avant de publier cet automne une intégrale très attendue, l’orfèvre français de la chanson fait escale en formation acoustique sur la scène de Beausobre.

Généralement, il revient lorsque les feuilles jaunissent puis tombent sur les trottoirs des villes et des villages. Le timing est impeccable, car on n’aurait pas vraiment l’idée d’écouter sa musique en plein cagnard. C’est une amusante découverte qu’on fait en explorant les genres : il y a des chansons pour chaque saison. L’été, le Blues du delta, le psychédélisme californien constituent des bandes-son impeccables. L’automne et l’hiver, les harmonies pastorales ou les cordes sont idéales pour accompagner l’arrivée du crépuscule. Sheller est un artiste dont on apprécie les sortilèges durant les saisons mortes, parce que chez lui l’humilité et la discrétion remplacent avantageusement le bruit et la fureur. Cette fin d’année sera donc la sienne… Douze mois après la sortie de l’acoustique et bien nommé Epures, le chanteur s’apprête à charmer son public durant de longues semaines. Il y a d’abord ce concert à Morges en compagnie d’un quatuor à cordes, il y aura ensuite la sortie d’un DVD et d’un album live enregistré l’hiver dernier, il y aura enfin (le 31 octobre) la sortie évènementielle de Chemin de traverse, une intégrale de seize CD qui va nous permettre de revivre une épopée discrète et singulière frappée du sceau de l’excellence. Grâce aux archivistes d’Universal, on va pouvoir découvrir enfin Lux Aeterna, une messe pop symphonique aux arrangements grandioses et complexes spécialement composée pour le mariage d’un couple d’amis durant la seconde partie des sixties. On salive, car il ne fait aucun doute que cette composition est un Smile (album des Beach Boys, longtemps considéré comme perdu, mais enfin publié en 2004 dans sa version retravaillée par Brian Wilson) à la française. Mais la saga Sheller ne concerne pas uniquement les collectionneurs acharnés d’opus mythiques. Les Chemins de traverse pourrait ainsi permettre à un plus large public encore d’apprécier l’un des plus précieux orfèvres de la scène hexagonale. Car l’homme, contrairement à la plupart de ses confrères, les bons, les tièdes et les mauvais, n’a jamais succombé à la tentation des arrangements bourrins. Au fil des décennies, son parcours s’avère ainsi exemplaire.
Au début des sixties, alors qu’il étudiait placidement le piano classique, le choc émotionnel causé par la découverte des Beatles l’a convaincu de ne plus s’embarrasser avec les genres ou les étiquettes, mais de puiser aux différentes sources musicales l’inspiration qui allait lui permettre de composer la chanson parfaite capable de résister aux outrages du temps et surtout aux mensonges des modes.
En 1975, peu avant son vingt-neuvième anniversaire, quelques mois avant que Nino Ferrer, autre franc-tireur aujourd’hui disparu, rafle la mise avec l’inusable Sud, le sautillant Rock'n'dollars a fait de lui un champion du hit-parade. Mais c’est surtout dans le silence que William Sheller puise son inspiration. L’homme, lorsqu’il s’aventure sur les chemins de traverse d’une chanson française haut de gamme, n’a nul besoin de l’assentiment d’une industrie aux jambes lourdes. Le succès ou l’échec n’ont donc pas vraiment d’influence sur sa trajectoire impeccable.
Qu’il capte l’air du temps avec la bande-son d’Erotissimo, pamphlet pop ultra-culte réalisé en 1969 par Gérard Pirès, ou qu’il s’impose en arrangeur talentueux aux côtés de Barbara, il ignore le sens du mot «banalité». Sa discographie, fort singulière et surtout inaccessible aux esprits pressés, en atteste… Sans élever la voix, l’homme peut passer de la pop vintage de ses débuts aux récitals ambitieux de l’Olympia 1984 avec quatuor à cordes, s’offrir en plein règne synthétique un détour par la musique symphonique (Ailleurs) ou atterrir à pieds joints dans un profond chaudron psychédélique (Albion). 
A l’idée de passer les prochains mois avec ces albums intemporels, on n’est pas vraiment pressé de songer au retour des beaux jours…