Le Télégramme de Brest
23 mars 2005

William Sheller
Délicieuse flamboyance

(par Patrice Le Berre)

 

En 2005, William Sheller célèbre ses 30 années de parcours (tout seul) dans la chanson. Quelques mois après la sortie d’Epures, un onzième album où la voix et le piano dialoguent dans l’intime, il revisite en ce moment sur scène les grands titres de son répertoire mélancolique et flamboyant, accompagné par un orchestre de 18 musiciens. Le symphoman de l’ère pop se produit samedi au Quartz de Brest, pour une étape de deux heures et demie, où la grâce a rendez-vous avec l’élégance.


Chanson

Mardi 1er février 2005. William Sheller débute une série de douze dates dans le cadre délicieusement confortable et désuet des Folies-Bergère, à Paris, prélude à une longue tournée dans toute la France, en Belgique et en Suisse.
Sur scène, un piano semble attendre. Derrière, conduits par le premier violon Nicolas Stevens, 18 musiciens (neuf cordes,  six «souffleux», un guitariste, un bassiste et un batteur) s’installent progressivement. Et entre enfin M. William, tunique fripée, baskets et le poil aussi ras que d’ordinaire. « On va débuter par une petite chose, pour s’échauffer. Si vous êtes prêts (aux musiciens qui acquiescent), on y va. »  Symphoman, bien sûr, comme un paraphe en guise de préface. La voix est là, chaude et précise, le phrasé impeccable. Premiers frissons, prometteurs.

Tous les standards
Suivent La tête brûlée, Photos-souvenirs et, crescendo, Les Miroirs dans la boue, Maman est folle…Toutes présentées par un souvenir, une anecdote drolatique racontée avec flegme, le sourire en coin. L’odeur de la soupe de poireaux dans la maison en Bretagne ? Déterminante dans la genèse de Nicolas, la boîte de gâteaux «avec les photos dessus» dans laquelle ceux qu’on ne prend jamais sont toujours les mêmes (basket-ball)… Connivence amusée dans le public.
Treize chansons avant l’entracte. «Ceux qui le veulent peuvent aller boire un verre. Les plus riches peuvent même aller fumer une cigarette…» Et treize autre gemmes qui viendront s’égrener au cours de la seconde partie du spectacle, illuminées par un orchestre de haute facture, dont un saxo en roue libre. Et, bien sûr, tous les standards sont au rendez-vous (Les filles de l’aurore, Un homme heureux, Le Capitaine, Le Nouveau Monde, Excalibur…), souvent réarrangés (Le Carnet à spirale), au grand plaisir d’un public au diapason des fantaisies du maestro.
Au sortir de la salle, des commentaires unanimes : « Il est en pleine forme », s’enthousiasme un fidèle. « Irremplaçable ! Il m’avait manqué », confie une spectatrice, des étoiles encore plein les yeux… « On m’avait prévenu mais c’est vraiment toujours aussi splendide ! » s’étonne un profane.
En fait, oui, monsieur. Toujours. 

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 « J’avais envie d’autres horizons… »


Avant d’entamer sa tournée actuelle, William Sheller nous a accordé cet entretien.

- « En 2000, à la sortie de votre précédent album Les machines absurdes, vous laissiez transparaître une certaine lassitude, n’écartant pas la possibilité qu’il s’agisse là de votre ultime disque studio. Cinq ans plus tard, vous revenez avec Epures. La crise est-elle passée pour de bon ? »
- « Disons que je n’avais peut-être pas les bons interlocuteurs au sein d’Universal à ce moment-là, et qu’il est des évènements d’ordre privé qui m’ont ralenti. Nous sommes tous humains et les artistes ne sont pas des machines à faire des CD. J’avais envie d’autres horizons, je les ai eus. Tout va bien. Vous savez, je ne considère pas Epures comme "l’album de la rentrée de Sheller". Il n’a pas été enregistré en studio, mais chez moi, sur mon piano. C’est un caillou blanc sur ma route. J’ai encore du chemin à faire…»

- « Au fil de votre carrière, il vous est arrivé fréquemment de n’habiller vos chansons que d’un piano mais il aura fallu attendre ce onzième album pour vous voir appliquer cette formule à un disque entier. Pourquoi un tel dépouillement, aujourd’hui ? »
- « J’ai donné beaucoup de concerts avec des orchestres, symphoniques ou le mien. J’ai suivi la réalisation d’un album de mes quatuors à cordes par le Quatuor Parisii, paru en 2003. J’ai aussi assisté à l’enregistrement de mon concerto pour trompette, par Thierry Caens et l’Orchestre National de Lyon, sous la direction de Michel Plasson. J’ai composé, au printemps dernier, une symphonie, à la demande du festival classique de Sully-sur-Loire, tout en donnant aussi régulièrement des récitals au piano. J’avais envie d’écrire quelque chose d’épuré et d’intime pour changer. J’avais déjà appliqué cette formule en 1991 dans l’album En solitaire qui m’avait valu deux Victoires de la Musique, mais il s’agissait majoritairement de chansons anciennes. Les artistes ont parfois des envies ou des besoins. C’est comme ça. Il fallait que je le fasse. »

- « Cet album est un peu l’opposé d’Univers qui, en 1987, était l’éclectisme même. Entre ces deux "extrêmes", quelle pourrait être la couleur de votre prochain album ? Quelles seraient vos envies ? »
- « On perçoit ce qu’on veut comme on veut, c’est normal. Personnellement, j’avance sans plan de carrière, ni par rapport à ce que j’ai pu faire avant. Là, je n’ai aucune idée de ce que j’écrirai demain. Vous savez, j’avance, je publie quelque chose de temps en temps, et puis je reprends ma route. J’aime l’aventure. »

- « Depuis My year is a day, vous ne cessez de mêler les orchestrations symphoniques (Le Nouveau Monde), et le rock (Albion) à la chanson. Mais toujours pas le jazz. Le "blocage" que vous avez évoqué à de nombreuses reprises est-il irréversible ? »
- « Non, pas irréversible, mais pour le moment rien ne m’est encore passé dans la tête dans ce domaine qui vaille la peine d’être écrit. Plus tard, peut-être… Mais je ressens des fois des trucs avec grosses sections de cuivres. Ça mijote. »

- « Vous avez composé des musiques de films et nombre de partitions pour orchestres. Cette part de votre œuvre reste inconnue du grand public. Considérez-vous que c’est inévitable ? »

- « C’est un peu normal, oui. La musique instrumentale est peu diffusée. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas en faire. Jusqu’à présent, c’était, en ce qui me concerne, réservé aux concerts mais l’enregistrement de deux symphonies et de certaines autres pièces d’orchestre est programmé pour 2005. »

- « Vous avez un jour déclaré être intéressé par le fait d’écrire pour une grande voix comme Johnny Hallyday, ainsi que vous l’aviez d’ailleurs fait, en 1997, pour un autre bel organe, très sous-estimé, celui de Nicoletta. Notre Johnny national vous a-t-il contacté ? »
- « J’ai de moins en moins de temps pour cela, et j’aime bien faire du sur-mesure. Je connais bien ma Nico, c’est ma grande copine. C’était facile. Je me vois mal écrire en me disant : "Tiens, ce serait bien pour untel et envoyer froidement un CD"… Non, je n’ai été contacté par personne jusqu’à présent. Ecrire pour Johnny me plairait assez, oui. C’est quelqu’un que j’apprécie. »

- « Quels artistes et quels albums reviennent souvent sur votre platine, ces derniers temps ? » 
- « Portishead, Marylin Manson, M, Benabar, Arno…»

- « Depuis le crâne rasé que vous arboriez pour l’album Ailleurs et le clip Excalibur, certains vous ont dit proche de l’extrême droite ! Avez-vous eu vent de cette rumeur ? » 
- « Oui, je sais. J’ai entendu ce genre de rumeur idiote… On a même aussi répandu l’idée que je serais atteint du SIDA… J’avais rasé mon crâne au moment de Ailleurs, quand Druillet m’y avait collé un demi-masque en caoutchouc, avec un œil caméra télécommandé. Je suis resté comme ça un bon moment pour le tournage. Ça me faisait une tête qui me faisait penser à Maïakovski, le poète russe, que je lisais à ce moment-là. On a fait des photos délirantes, l’air ahuri devant un mur crade, style années 20 pour la pochette. Moi, je trouvais ça marrant mais, apparemment, il y en a à qui ça a du faire peur… Délit de sale gueule, sans doute. Maintenant, depuis Barthez, c’est à la mode d’avoir le poil ras. Quant à moi, je suis loin de toute forme d’extrémisme… et en très bonne santé, à 58 ans que je revendique avec plaisir ! A ceux qui croiraient à ce genre de rumeurs, je dis seulement ceci : lisez plutôt mes mots. Ecoutez plutôt ma musique. Ils en disent plus long sur ce que je suis que toutes ces bétises ! »

- « Vos cinq premiers albums restent indisponibles en CD. A quand une véritable intégrale Sheller ? »
- « La parution d’un coffret contenant l’intégrale de trente ans de chanson est prévue à l’automne 2005. Nous y travaillons déjà avec Universal. On y trouvera aussi des choses rares, comme Lux Aeterna dont l’underground japonais semble s’être entiché depuis quelques temps. C’est drôle de voir le parcours de ce qu’on a écrit. »

- « Comment préparez-vous un spectacle comme celui de 2005 ? »
- « Je m’enferme devant mon ordinateur pour écrire les partitions de chaque musicien.  Ensuite, je répète avec eux jusqu’au "par cœur" pour tout le monde (on est 20 !), puis nous recommençons en situation de scène pour créer les lumières et préparer le son. Cela nous prend trois semaines environ. Ensuite, nous pouvons enfin partir jouer. Dans les spectacles de 2005, il y a quelques surprises… qui doivent le rester. Alors, chut !... »

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* Brest (29)
William Sheller samedi 26 mars au Grand Théâtre du Quartz.