Le Progrès de Lyon
(édition de l'Ain)
3 mars 2005
-Concert à Ainterexpo de Bourg-en-Bresse, 1er mars 2005-

Sheller, peut mieux faire
(par Marc Dazy)



L’homme chaleureux s’est mis discrètement les deux mille spectateurs en poche. L’arrangeur génial a témoigné de sa richesse sur des morceaux de pur régal. Mais le « symphoman » a souvent tendance à en faire trop, ou pas assez.


 « Sheller un peu perdu » semble-t-il penser à son entrée en scène. Sans manquer de tenue, M. William flotte dans un costume-kimono gris éléphant qu’il a probablement piqué à David Douillet. Tout riquiqui dans l’immense réfrigérateur du parc Ainterexpo, copieusement garni de quelques deux mille spectateurs.
Mais ce mardi, William Sheller ne navigue pas en solitaire. « J’ai fait venir du monde » prévient-il en présentant ses dix-huit musiciens ! Six violons, six « souffleux », deux violoncelles, une guitare, une contrebasse, une basse, une batterie, et autant de « coloristes » chargés d’enluminer ses chansons.
Thème récurrent. L’illustrateur présente chaque morceau en images et couleurs. Il raconte l’histoire de la Mme Yvonne de son enfance, la grosse dame chez qui ça sentait tout le temps le poireau. Résume le drame de Mme Butterfly, et de son capitaine, en trente secondes  désopilantes, imite Véronique Sanson, égrène des notes de piano qui « font dans les oreilles comme des ronds dans l’eau ». Ses chansons prennent corps et âme. Le professeur Sheller se révèle poète, subtil, drôle, touchant. Un homme chaleureux qui se met discrètement le public en poche.

Entre-deux
Toujours juste dans ses interventions, il a par contre tendance à en faire trop, ou pas assez, lorsqu’il passe à l’interprétation. A sa décharge, reconnaissons qu’il n’est pas facile de sonoriser un réfrigérateur. Le son brouillon et bruyant a gâché le début du concert. Même si la voix est restée très en avant, ça s’est arrangé au bout d’un quart d’heure. Mais Sheller méritait mieux.
On lui reprochera surtout d’abuser de ses talents de « symphoman ». William Sheller est un compositeur « ligne claire », un pastelliste. Pourquoi rajouter des tonnes de pompe, alors que ses chansons sont déjà des micro-symphonies à elles toutes seules ? L’habit était là aussi, surdimensionné.
A l’inverse, il a paru un rien étriqué sur le versant pop-rock du répertoire ? On regrette que le pilote n’ait pas lâché le turbo sur Indies, fresque psychédélique digne du Kashmir de Led Zeppelin. Ou qu’il ait gardé le frein à main sur l’héroïque Excalibur.
Ce best-of de trente ans a offert ses meilleurs moments lorsque l’arrangeur génial est sorti de cet entre-deux. Nicolas en quatuor à cordes, Le carnet à spirale, avec ses souffleux, Darjeeling version Bollywood, Un homme heureux et jazzy, Oh ! j’cours tout seul et son sax funky, une éblouissante Maman est folle ou des Filles de l’aurore enfin débridées. Purs régals, qui dévoilent la richesse de la palette.
Les deux heures et quelques de spectacle se sont conclues trop vite, Dans un vieux rock’n’roll syndical en rappel unique. Là encore, Sheller pouvait mieux faire.