Le Monde
3 février 2005

Le chanteur a commencé sa tournée française mardi à Paris, aux Folies-Bergère
William Sheller, trente ans de scène entre excès et épure
(par Véronique Mortaigne)




Octobre 2004 : William Sheller, bermuda beige, mollets à l’air et baskets à lacets, gilet de reporter-photographe, présente son nouvel album, Epures, devant une cinquantaine d’invités au Georges V, palace parisien plus habitué aux va-et-vient des costumes et des robes qu’aux évolutions de ce plagiste rêveur. Il avait prévu de chanter six chansons, échantillon livré sur moquette rouge d’un album épuré donc, renouant avec Sheller en solitaire, où figurait Un homme heureux, voix-piano. Mais tout de suite le petit comité en veut d’autres, toutes, les dix, de Mon hôtel au remake dépouillé des Machines absurdes proposé sur Epures. Et William Sheller s’exécute. Ni temps ni horaire, et toujours cette persistance bonhomme à raconter avant chaque morceau ses secrets de fabrication : une suite d’accords, un la, un cauchemar, un souvenir d’enfance.

Trois mois ont passé. Comment allait-on retrouver notre Tintin musicien sur la scène des Folies-Bergère, où il annonçait dix-huit musiciens en scène et toujours, bien sûr, son piano ? En baskets à lacets, compensées, mais en tunique, plutôt chic. Pour donner -sans compter les minutes, qu’on lui fasse confiance ! - à l’aube d’une longue tournée française, plus de deux heures de spectacle, vingt-six chansons en deux parties, plus les rappels, café, limonade, vin blanc et cigarettes «pour les plus riches» recommandés à l’entracte par le compositeur.
Seules quatre nouvelles chansons extraites de l’album déshabillé font leur apparition dans l’ensemble, sélectionné dans une carrière de trente ans - à compter de Rock'n'dollars, tube au premier degré composé au début des années 70-. Tout chez Sheller est à géométrie variable, d’apparence identique, mais en changement perpétuel. Les musiciens menés par le violoniste Nicolas Stevens  sont parfois dix-huit en scène, ou opèrent en réduction en quatuor, en trio, ou disparaissent. Ils sonnent classique, mais le saxophoniste joue façon rock des sixties.
Les violons emboîtent le pas à la guitare électrique, la flûte se love en hindouisme avant-gardiste.  C’est un travail d’orfèvre, dans lequel ces quatre nouveautés triées sur le volet prennent place sans crier gare. Loulou, aux rappels, devient un classique du genre Sheller, au même titre que Nicolas ou Maman est folle.
William Sheller, anti-jeune premier avec sa coiffure au bol et ses mains musiciennes, est formidable quand il est abusif. Quand il joue Excalibur en opéra rock, avec cors, trompettes et rage, quand il bouscule Les petites filles modèles au basson ou brode encore un peu plus façon Rameau sur Le Nouveau Monde. Tout aussi abusives, ces épures, ces suites pianistiques qui poursuivent en vain Oh ! J’cours tout seul depuis plus de vingt ans. Cet excès qu’il sait recomposer, agencer, harmoniser, habite William Sheller depuis Lux aeterna, messe rock composée en 1970, rangée aujourd’hui dans la catégorie culte par l’avant-garde électronique (à écouter : la compilation Dirty Diamond II).
Il peut aussi être lassant. Quand il parle trop ? Quand les chansons s’étirent ? Treize chansons avant l’entracte, autant après, mais la première partie est longue, et la seconde passe comme l’éclair : le chanteur y peint avec maîtrise un paysage musical chamarré. Le défaut est récurrent dans ses concerts. Mais chercher à expliquer le comment de la langueur et le pourquoi du brillant serait percer le secret du temps selon William Sheller.

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- William Sheller aux Folies-Bergère, 32 rue Richer, Paris 9e, m° Grands Boulevards jusqu'au 12 février.
- Tournée française du 22 février (au Zénith de Caen) au 16 avril (Le Mans).
- Album : Epures, 1 CD Mercury-Universal.