Keyboards/Home studio N°192
décembre 2004

William Sheller
En solitaire, et à la fois si bien accompagné !

(par Carlos Sancho)


Un nouvel album, c’est comme une nouvelle naissance, et l’on convie alors les gens que l’on aime pour le présenter ! C’est ainsi que William Sheller nous a invités à écouter son dernier bébé, avant de nous en parler en exclusivité… et nos oreilles avides s’en régalent encore…

INTERVIEW.
18 h 30. Salon anglais de l’un des plus beaux palaces parisiens, le Georges V. Les invités s’attablent autour de quelques coupes de champagne en attendant la venue de William Sheller. Ce dernier les a invités à une écoute privilégiée de quelques-unes de ses nouvelles chansons. Cinquante personnes choisies et triées sur le volet sont là, impatientes de les entendre. Le maestro arrive enfin. William s’assoit sagement, comme à son habitude, derrière son piano à queue noir fétiche, un Yamaha. Il distille, sous les yeux admiratifs et les oreilles attentives des spectateurs, quelques perles de son nouvel opus, Epures. Habillé d’un short long, de chaussettes noires, d’une chemise à carreaux et d’un T-shirt blanc, William apparaît parfaitement à l’aise derrière son instrument de rêve. le cadre idyllique et l’ambiance feutrée donnent une teinte de magie à ce moment. Entre deux gorgées d’eau, il présente un à un ses nouveaux titres, et ce, dans la version la plus dépouillée, la plus simple, mais loin d’être la plus simpliste : piano, voix. Epures démontre une nouvelle fois à quel point la formule piano + voix va si bien à William Sheller.  Rien que l’essentiel. Pas de superflu, même s’il avoue en catimini adorer les nouvelles technologies.

William Sheller réduit sa technique au plus simple appareil. Le meilleur moyen d’ailleurs de savoir si une composition se révèle bonne ou pas. Ce soir-là, William Sheller offre donc sa musique à une petite salle déjà conquise. Ses doigts s’activent en caressant le clavier. Sa technique demeure toujours aussi admirable. Pendant tout son spectacle, William confirme non seulement son talent de musicien, mais aussi son humour très anglophone. Discret, pincé, mais si efficace ! Les ambiances ouatées de ses nouvelles chansons nous permettent de découvrir une nouvelle fois l’univers envoûtant de Sheller : des émotions fortes, des mots choisis, et une mélodie suave qui nous rappelle nos soirées imaginaires au coin du feu. De ces douces et sensuelles rêveries qui prennent dans ces moments-là tout leur sens. La musique demeure universelle, et grâce au plus français des Franco-Américains, nous en avons encore la preuve. Son concert privé se révèle être un triomphe. William, à chaque fin de chanson, comblé par l’accueil des auditeurs, vient chercher les applaudissements de la foule d’élus. Elle semble lui en donner plus qu’il ne l’espérait. Et il nous le rend au centuple, en se remettant à chaque fois au piano. Lorsqu’on aime la musique, on ne compte pas n’est-ce pas. Avec Sheller, cette phrase pourrait devenir sa maxime. La prestation qui ne devait durer qu’une demi-heure, s’est déroulée en une heure. Au total, cinq rappels et quelques « coupettes » de champagne pour se désaltérer. Alors qu’il ne devait chanter que cinq titres, le public présent l’a tellement porté et remercié qu’il en a chanté dix, dont trois anciens (Un vieux rock’n’roll, Je voudrais être un homme heureux, et sa chanson fétiche depuis 30 ans, Symphoman). Le mélange de son nouveau répertoire et de l’ancien prouve encore que l’univers de William reste conforme à ce que William est.
Ce concert, ces émotions, ainsi que ces lignes ici écrites, ont trouvé source dans Epures. A l’occasion de ce disque, William a notamment enregistré le son du piano Yamaha avec deux micros chinois, dans sa maison en Sologne, et un Shure traditionnel pour les prises de voix. Au total, ce sont douze chansons qui nous emmènent dans un voyage de l’imaginaire. Et c’est sous l’excellente direction aux manettes de Yves Jaguet que cet album a pris forme. C’était d’ailleurs le cas pour le disque studio précédent, en 2000, Les Machines absurdes.
Mais discutons musique avec William car, non content de savoir chanter, composer les musiques et écrire les textes de ses chansons, William s’exprime et explique également harmonieusement…

- « Pourquoi préférer le piano à queue Yamaha ? Qu’a-t-il de plus que les autres ? »
- « J’aime le Yamaha parce qu’il n’est pas ciblé dans un genre. C’est un piano capable de restituer Chopin dans sa finesse, tout comme il peut percuter rock san problème et sans "zingueries". C’est un piano idéal pour travailler chez soi toute forme de musique. Et la largeur de ses touches noires convient à mes doigts. Il m’arrive aussi de préférer un bon Yamaha standard en concert, plutôt qu’une marque prestigieuse et ancestrale mais fragile, qui ne garantit pas toujours un instrument bien entretenu… »

- « As-tu la sensation d’avoir trouvé ta voie en te spécialisant dans un répertoire "piano + voix" ? »
- « Je ne me spécialise pas du tout dans le genre piano + voix, oh non…Il se trouve que périodiquement je compose un certain nombre de chansons qui sont faites pour ça. Et alors je les réunis et les enregistre. Par ailleurs, j’ai déjà dans l’idée un autre projet d’album plus orchestré, musiciens live et samples, etc…Et si demain je devais retourner voir les British pour faire hurler des grattes, je n’hésiterais pas une seconde ! »

- « Tu es un fan des technologies nouvelles et du matériel de pointe dans la musique. Pourquoi ne pas, ou plus, t’en servir aujourd’hui ? »

- « Juste histoire de varier les plaisirs…J’aime toujours travailler par ordinateur, et même ce que j’écris pour orchestre symphonique passe par un traitement de texte musical, le logiciel Encore 4.5, qui me convient bien et me restitue l’écriture en MIDI. Ensuite, j’appelle Yves Jaguet parce que tout évolue si vite d’année en année que je perds parfois un peu le fil quant à du matériel comme Pro Tools ou Pyramix… »

- « Raconte-nous tes séances avec Yves Jaguet… »  
- « Pour Epures, Yves s’est installé quelques semaines à la maison avec son matériel. J’ai donc vidé mon petit studio pour lui laisser la place. Dans la pièce dans laquelle se trouve mon piano, on a disposé à l’origine des micros d’ambiance haut perchés (idéal pour capter les mouches qui passent et les canards de l’étang d’à côté !), avec un bon Neumann pour la voix, de façon à ne pas trop récupérer le piano, plus deux autres micros dans le piano. On a réalisé un premier enregistrement, et même un premier montage d’album avec les prises définitives à traiter. On a alors fait un break d’une semaine, et là Yves m’a posé en attendant dans le piano deux petits micros chinois tout bêtes, histoire que je m’exerce au casque sur un titre à finir. Puis il s’en va. J’essaie, et alors, miracle ! C’était le son que je cherchais depuis le début ! A son retour, je lui ai fait écouter, et ça lui a bien plu aussi, aussi nous avons décidé de refaire tout l’album avec cette configuration-là. Donc repartir de zéro,  avec encore les mouches et les canards, sans compter quelques solides avions des bases militaires environnantes de temps en temps au ras des toits… ! Mais finalement, ça prenait tournure… On a obtenu de meilleures choses…J’étais plus à l’aise même pour chanter. »

- « Est-ce plus rapide d’enregistrer ce genre de disque "piano + voix" avec des chansons dépouillées de toute technologie ? »
- « Oh que non ! Parce qu’il a fallu beaucoup de technologie justement, pour que ça ne sonne pas "maquette". Il a fallu chercher d’abord comment obtenir une bonne base de son, le bon placement des micros et lesquels utiliser…Ensuite il faut se lancer et jouer la chanson d’un bout à l’autre, sans "pains" au piano, en chantant juste, avec les bonnes intentions dans le chant, les mots et les doigts. Bien sûr, il y a eu des montages des meilleures prises, mais là, pas possible d’utiliser Autotune pour corriger une mauvaise inflexion de voix par exemple. On est à "poil". On passe une journée sur une chanson et on ne sent pas la prise… Trois jours après, on se lève un matin et on l’enregistre d’un trait à peine le café avalé. C’est empirique. J’aurais pu enregistrer le piano et chanter ensuite, mais on aurait manqué le côté live. En direct, le piano bouge avec la voix, c’est moins mécanique. Pour ce qui est de la finalisation, j’avais dans l’oreille le son de Rubber Soul des Beatles, je voulais quelque chose de droit, de sec, sans réverb, la voix au ras des enceintes, un rien saturée avec une couleur "micro à lampe". Très difficile aujourd’hui à réaliser sans du matériel vintage. Je voulais un son de voix enveloppé par le piano, pas accompagné… Avec Yves, nous sommes allés voir Gaël Yvan, qui m’avait déjà masterisé un album de quatuors l’an dernier et qui l’a traité comme en classique. Il nous a apporté une grande pureté de son et la chaleur du côté live. Comme toujours, un album c’est une complicité entre des individus qui ont chacun leurs compétences, dont on sait qu’ils sont bien plus pointus que soi dans leur domaine, et auxquels il faut donc laisser faire leur job : on ne peut pas tout faire tout seul. »