La Tribune de Genève
2 octobre 2004
-concert piano-solo du 30 septembre 2004 au Grand Casino de Genève-

William Sheller livre ses notes confidentielles
(par Françoise Nydegger)



Le musicien hors pair a fait un tabac jeudi soir au Grand Casino de Genève.


Sur la scène du Grand Casino trône un somptueux piano à queue noir, sobre, nu. Un tabouret lui tient compagnie, quelques lumières viennent habiller l'espace, c'est tout. Et c'est bien suffisant. Car William Sheller, qui vient de s'installer au piano, va parvenir en quelques secondes à prendre une salle entière dans ses filets musicaux pour l'emporter dans une autre dimension, loin, très loin de ce qui s' entend généralement sur les ondes. Et c'est debout que le public, emballé, s' est dressé à la fin de ce tour de chant pour remercier l'artiste, vaguement emprunté devant une telle démonstration d'amour.

Connexion avec la salle

Car l'homme est un solitaire. Un grand timide. Drapé d'amples habits noirs, il débarque en début de représentation sur scène, l'arpente un peu avant de se planter là et tendre ses bras hauts en avant, comme pour happer la salle et se mettre en connexion avec elle. Il agite un peu les mains et, dopé par cette prise de contact, retourne à son instrument, pose les doigts sur le clavier et commence à raconter, sur un ton de confidence qui sied à sa voix légère, les chemins de l'inspiration.

Orfèvre des mots et des notes

Au milieu du noir ambiant, on ne voit alors que son visage ressortir sous le projecteur, son crâne au poil ras, ses lunettes perchées sur le bout de son nez, ses oreilles imposantes. Un visage qui se tend ou se replie au besoin, selon ce que ses mains virtuoses sont en train de réaliser sur le clavier.
Devant les touches, William Sheller disserte, comme un vieux sage. « On appelle la note, on la relance, elle s'installe. » Et de joindre le geste à la parole. « Et puis d'autres notes arrivent. Insistantes. Entêtantes. Alors des images, des souvenirs affluent. On laisse les doigts aller.», et cela donne ces petites perles ciselées aux reflets changeants, comme l'humeur du chanteur, tantôt mélancolique, tantôt amoureux, mais toujours un brin décalé par rapport au rythme du temps.
Dans ses petites causeries, entre deux chansons, il confesse d'ailleurs volontiers son attachement à la sieste, ses balades en forêt, sa solitude, son enfance qui remonte à la surface comme une bulle inspirante. La pluie, les longs séjours à l'hôtel, les séparations ou les bruits de la vie qui lui parviennent font aussi musique en lui.
Pour sa prestation genevoise, William Sheller chante bien évidemment sa seule composition locale, Genève, où le temps sur la ville est trop court, trop lourd aussi.  Cette chanson lui est venue à la suite d'une promenade sur l'île Rousseau, alors qu' il se prenait à imaginer quelle devait être la vie dans les palaces du bord du quai au XIXe siècle.

Aperçus d'Epures


Le chanteur interprète aussi ses grands classiques qui datent parfois d'une trentaine d'années, mais qui n'ont pas pris une ride, ainsi que des petits nouveaux. Des morceaux écrits pour piano solo et que William Sheller teste sur le public pour la deuxième fois seulement après leur enregistrement en studio.
Ces compositions sonnent bien, comme cette chanson d'automne « que je te donne comme un gilet qu'on boutonne pour réchauffer la vie ». Le nouvel album de Sheller, Epures, sera disponible début novembre. Le public s'en frotte déjà les mains.