La Nouvelle République du Centre-Ouest
(édition du Loir-et-Cher)
7 novembre 2003
-concert piano-solo du 5 novembre 2003 à La Halle aux grains de Blois-

Sheller de rien, c'est fort, très fort
(par J-M Coeffeur)



Plaisir des mots, enchantement musical, humour, complicité, William Sheller a entraîné mercredi soir une Halle aux grains comble dans l'intimité de son univers créatif.

Un homme, un piano posé au centre d'un ovale de lumière, il n'en faut pas plus pour passer un bon moment. Mercredi j'ai passé la soirée avec William Sheller. Lui, moi, nous nous sommes retrouvés comme deux solitaires échoués un soir de blues dans un piano-bar enfumé, pour partager un dernier verre avant de plonger dans la nuit.

Sur le ton de la confidence, entre quatre yeux, comme à un ami de toujours, et avec un humour que je ne lui connaissais pas, il m'a fait l'insigne honneur de me révéler les petits riens dont il fait des grands bonheurs. Un souvenir d'enfance, une séparation, la solitude, un petit bruit domestique, une escale, un voyage, une ville, et toujours une femme. Une femme qui passe, l'illumine et s'échappe. Elles ont dû lui en faire baver au William. Mais fataliste, il ne regrette rien. Elles sont toujours là. Des déchirements qui ne font que s'ajouter à ses souffrances, ses blessures, ses angoisses personnelles, la nostalgie, une certaine tristesse qui transparaît derrière la gaieté. Comme les ingrédients indispensables à la poésie de son alchimie créatrice.

Nous étions trois. Avec ce long piano noir chaleureux, qui semble mener sa propre existence, puissant et facétieux, tantôt champagne, tantôt cognac, brandy ou vermouth. Des harmonies subtiles, parfois somptueuses, colorées, dans lesquelles, même lorsqu'elles se font légères percent la richesse des racines classiques.

Et cette voix, reconnaissable aux premières intonations. Pudiquement tamisée d'un léger voile, teintée d'ironie, toujours en retrait, mais qui se prend au jeu du texte et des mots. A la façon de ses maîtres, Gainsbourg et Trénet. Mais avec discrétion, délicatesse, retenue, forçant ainsi respect et sympathie. Puis, les derniers accords d'Un homme heureux plaqués, comme l'on plaque deux baisers sur les joues d'une vieille connaissance, William s'est levé, et la lumière s'est allumée. Et nous étions des centaines à ne plus vouloir le quitter. Alors il s'est remis au piano, pour deux ou trois morceaux, comme on discute sur le pas de la porte avant de quitter à regret des amis. Des amis qui sont repartis la tête et le cœur habités du doux sentiment d'avoir vécu un trop court moment privilégié de bonheur.