Le Soir
7 avril 1999

Sheller de revenir
(par Thierry Coljon)




Histoire de s'aérer avant de terminer son nouvel album, William nous arrive en solo piano

William Sheller habite un duplex plutôt sympa du côté du bois de Boulogne. Ses trois Victoires de la musique trônant tout en haut d'une étagère, William nous a reçu chez lui pour faire un peu le point sur une carrière balisée fin de l'année dernière par cette double compil' Tu devrais chanter passant en revue vingt-cinq ans de chansons. Travaillant depuis plus de deux ans sur son nouveau disque enregistré entre Bruxelles et Paris, William s'est d'abord changé les idées en écrivant quelques titres pour Nicoletta avant de revenir, sur scène, à la formule en solo initiée au Théâtre 140 il y a une quinzaine d'années.
Discussion détendue sur un sofa avec celui qui ne fera jamais rien comme tout le monde...
 
- Thierry Coljon : « Reprendre la formule du piano-solo, c'est vraiment faire un cadeau aux fans qui ont toujours apprécié ce type de performance... »
- William Sheller : «  Oui, c'est à Bruxelles que ça a commencé, sept ou huit ans avant Paris. Je me souviens qu'en France, quand je l'ai proposé à un gros théâtre parisien, ils m'ont répondu : "Si tu veux faire un coup d'argent c'est bien, parce que ça fait pas de frais mais on ne voit pas l'intérêt." On aurait dû en parler à la télé avant de le faire, etc... Moi j'aime bien car ça permet de voyager partout. »

- « C'est aussi une manière de respirer en faisant un break dans le long processus de réalisation du nouvel album... »
- «  Oui, c'est ça. L'album n'est pas encore fini. Et puis il y a la vie de tous les jours qui vous rattrape, on se dit les albums c'est bien mais il faut aussi se consacrer un peu aux enfants, tout ça. Et puis on m'a proposé de faire une compil' comme c'est un peu la mode en fin d'années. Au lieu que cela devienne un hold-up, je me suis dit que ce serait l'occasion de raconter un peu, dans le livret, ce qu'a été ma vie en tant qu'individu. Avec les ras-le-bol, les trucs mal foutus, les erreurs, les trucs sympas... J'en ai profité pour y ajouter deux inédits, un que je jouais sur scène mais que je n'avais jamais osé mettre car il ressemblait fort à Un homme heureux et un autre, Les millions de singes qui tend déjà vers ce qui est en partie fait. Ça me donnait un peu de souffle de voir comment ça se passe dans le métier... »

- «  PolyGram est, entre-temps, devenu Universal... »
- «  Je me demande si c'est un mal. Je préfère de beaucoup les nouvelles équipes en place. Jusqu'à l'an dernier, je n’avais aucun contact personnel avec ma firme de disques. Là, je vois arriver des gens motivés. Il y a un gros souci de rentabilité, d'accord, mais ça c'est général, c'est partout. Comme ils sont plus jeunes, ils connaissent peut-être moins ma carrière et me prennent là où je suis. Ça change le paysage. On peut faire ensemble des choses intéressantes. Mais les firmes de disques, c'est comme les vieux mariages, ça claque les portes, ça se réconcilie... Le problème, c'est que les gens sont de plus en plus sur des sièges éjectables et qu'il n'y a pas moyen dès lors de mener des projets à long terme. »

- «  Dans les textes commentant chaque chanson de la compilation, on ressent comme une gêne, une distance face à ce métier de la variété. D'être dans une industrie du show-business, tout en étant content quand on a un succès avec un titre ou un album... »
- «  Oui. Souvent je me dis: "Qu'est-ce que je fais là ?" D'un autre côté, quand on est sur scène ou qu'on entend une de ses vieilles chansons à la radio, ça fait plaisir et puis il faut bien vivre, entretenir sa petite famille. C'est une question de compromis et non de compromission. Il faut bien en faire, il faut pas être idiot... J'ai fait de mauvais compromis mais plus maintenant. On apprend aussi. On n'est pas obligé de dire oui à tout. Parce qu'au niveau promo, on nous ferait bien vendre des disques dans un parapluie à la sortie du métro. C'est n'importe quoi. »

- « Les Victoires de la musique ont tout de même conforté une position qui, en ce moment, est plutôt en votre faveur... »
- «  Oui mais il ne faut pas se leurrer. On représente un potentiel économique. Quand on est là depuis vingt-cinq ans dans la même maison, on est plus prêt à être écouté quand on a une lubie. Ils ont grimpé aux murs quand je suis allé à Londres faire ce disque de rockeur mais ce n'était pas grave car c'est noyé dans tout un catalogue qui continue à être rentable pour eux.
Ma position n'est donc pas désagréable. Sauf qu'ils sont de plus en plus exigeants avec des albums qui doivent avoir plus de deux titres pour traîner le tout. »

- «  Comment avez-vous ressenti le rejet par le grand public du disque Albion ? »
- «  J'ai fait ma crise d'adolescence. Quand j'étais ado, je serais bien allé en Angleterre faire des trucs avec des guitares électriques et tout ça. Et puis j'avais envie de casser l'idée du piano car, si j'ai du respect pour Charles Dumont, je ne voulais pas devenir sa copie pour les années 90. Je voulais donc casser ça... J'ai bien cassé ! Il y a eu du dégât mais ceci dit, des jeunes m'ont tout de même dit qu'ils aimaient bien. Le flop n'a pas été total. Un clip abominable, d'une laideur sans nom, a également été fait dessus. »

- « Et ce nouvel album, alors ? »

- «  Ça fait plus de deux ans qu'on y travaille. Toute la bande belge, là, je vais en profiter lors de mon passage pour les réunir et retrouver tout l'orchestre et terminer les enregistrements. Le disque sera fait de trois petits CD totalisant 18 chansons : un qui serait chansons plus traditionnelles, un autre piano avec quelques instruments et un troisième qui s'ouvre sur des sonorités et des rythmiques non pas technos mais un peu différentes, avec des boucles, etc... Une douzaine de morceaux sont déjà terminés. Le gros du boulot est fait, il faut encore finir les textes, c'est ça le plus dur. Que peut-on encore raconter au bout de quinze albums ? C'est un peu général, je crois, Véronique Sanson me disait pareil. J'ai essayé avec d'autres auteurs mais je suis tellement maniaque. La musique, ça va, ça fournit. Mais les mots, comment ne pas enfoncer des portes ouvertes, écrire ce qui n'a pas encore été dit ?... Contrairement à Jonasz qui, lui, essaie quatre, cinq musiques sur un texte, moi je cherche quelle histoire greffer sur une musique. Un vrai puzzle pour que ça ait l'air de dire quelque chose. Les jolis mots, c'est pas tout. »

- « C'est Barbara qui donne son titre à la compil, Tu devrais chanter. C'est elle qui a été le détonateur de toute votre carrière, en somme... »
- « Oui, on a retravaillé ensemble. Elle voulait des cordes pour son album. J'ai été surpris en l'entendant car il y avait énormément de musiciens, les cordes étaient dans le lointain... le mixage était assez curieux. Oui, la pauvre... tout ça pour un plat de coquillettes, des champignons dégelés puis regelés, ça l'a achevée même si son état général n'était déjà pas fameux. C'est ce qu'on m'a dit en tout cas. »

- « L'album de Nicoletta, ça a aussi été une surprise... »
- «  Oui, c'est un cadeau que je lui ai fait pour son anniversaire. C'est une amie d'enfance. De décembre à avril, je l'ai eue ici à côté de moi tous les jours et comme elle est bavarde, vous imaginez un peu... Je lui avais donné un grand livre avec des crayons de couleurs, moi je faisais les musiques et elle intervenait pour dire ce qu'elle pensait. C'était du vrai sur mesure. C'est pour ça que ce disque lui ressemble beaucoup. C'est une respiration, oui, je respire beaucoup ces derniers temps. Travailler pour soi, il y a une espèce de liberté mais pour se remettre le pied à l'étrier, rien de tel que de travailler pour les autres. Il faut respecter les engagements. En plus, j'ai passé des moments difficiles avec ma maman qui est décédée après une longue maladie. Pour tenir le coup, on est obligé de se couper de ce qui est trop personnel, trop sentimental... Et ce n'est pas vraiment ce qu’il faut pour écrire des chansons. Du coup, on se pose aussi plein de questions sur l'avenir. On voit la vie autrement. On se dit : en théorie, je suis le prochain sur la liste. D'un autre côté, j'ai eu un petit-fils en décembre. C'est la vie, quoi. Tout ça se remet en place petit-à-petit. La compil' a été pour ça un moyen de reprendre contact avec la vie... »

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William Sheller sera le jeudi 15 avril au palais des Beaux-Arts de Bruxelles et le 16 au palais des Beaux-Arts de Charleroi.

Album : Tu devrais chanter (Philips/ Universal).