Le Monde
28 octobre 1994
-Concerts à l'Olympia du 18 au 30 octobre 1994-

William Sheller à l'Olympia, Citadelle de rêves
(par Véronique Mortaigne)


William Sheller ne saurait livrer ses chansons sans un minimum d'explications sur leur genèse. Sur scène, il a pris pour habitude d'en décrire, assez longuement, l'épisode fondateur. Parfois avec une belle innocence psychanalytique. Ainsi, derrière Nicolas se cache l'abandon, pour un soir, du petit William chez une grosse nourrice fleurant bon la soupe aux poireaux et élevant des tourterelles. Oh ! J'cours tout seul est un affreux cauchemar, où le chanteur, en pyjama à rayures, court le long d'une voie ferrée. Un train passe. Ses couloirs sont remplis d'hommes et de femmes cognant aux vitres fermées.

En se racontant ainsi, perché sur d'insensées chaussures à semelles compensées (cette année, elles sont pop-art), William Sheller superpose les époques. Aujourd'hui : un récent séjour dans la campagne anglaise, aux studios de Ridge Farm pour y enregistrer son dernier album, Albion, en compagnie de musiciens de rock ultra-électrifiés. «Ils sont végétariens, ils mangent indien, la viande en Angleterre est un peu bouillie.» Hier (l'adolescence) : un «dimanche chez un copain». La «biche qui change de couleur avec le beau temps» trône sur un napperon carré placé en biais sur la télévision. Un coin de dentelle pend sans rémission sur le visage de la speakerine (Catherine Langeais). Sheller est tatillon, il décrit le moindre détail jusqu'à la boîte de gâteaux «ronds avec une cerise confite au centre».

Ce dimanche petit-bourgeois, étonnant pour ce fils de contrebassiste américain habitué aux hasards du jazz, lui donnera plus tard la matière de Basket-ball. Vu de chez Sheller, le monde est un peu zoo. Pour son nouveau spectacle, donné à l'Olympia avant une tournée hexagonale, c'est la batterie que le chanteur a enfermée dans une cage de Plexiglas. Il en fait par ailleurs un usage parcimonieux.

Bricolage maison

On s'attendait à la reproduction en scène de l'album pop-rock Albion. On en est pour ses frais. William Sheller a exclu les guitares électriques de son champ au profit de dix-neuf musiciens experts en instruments à vents, violons, contrebasses, violoncelles, altos, flûtes... D'Albion, il n'a retenu qu'un seul titre, La Navale («Allons enfants de la patrie/ Le jour de gloire m'a embarqué/ Si un jour je vais revenir un jour/ Qui peut dire/ Je ne voudrais pas vous mentir»), susurrée comme au bon temps des Pink Floyd. Il la termine en dansant, pantin désarticulé dans un flot de lumières bleu-vert.

Jusque-là, Sheller sera resté derrière son piano. Son jeu à lui, c'est de réaménager ses anciennes chansons, un exercice qu'il qualifie de «bricolage maison». Mais cela respire parfois mal. Il y a pourtant de la gentillesse et de la franchise dans ce montage savant. Les jeunes musiciens qui l'accompagnent ont l'air de sortir tout droit d'une comédie de Coline Serreau, avec leur costumes disparates, artistes, bohèmes, occupant la scène avec désinvolture. Mais la joyeuse troupe se fige vite, faute de pouvoir circuler librement et peu aidée par des lumières et une mise en scène statiques.

Moins de sérieux, plus de plaisir

Il y a quatre ans, William Sheller donnait à l'Olympia son récital «en solitaire» avec grand succès. Aujourd'hui, son public - ô combien fidèle - plébiscite toujours Dans un vieux rock'n'roll au piano solo. Il réclame des surprises aussi. Sheller lui en donne. Le 26 octobre, il avait invité une amie, vedette revenante (Marie-Paule Belle) et un débutant (Olivier Bron, un élève d'Alice Dona) à chanter. C'est son exotisme à lui. Il n'en a pas d'autre, puisque «Les mangues sentent l'encaustique, même si elles servent à traverser les dépressions de l'hiver», propos rapportés dont l'usage ultérieur donnera peut-être une chanson.