Libération N°4176
22-23 octobre 1994
-Série de concerts à l'Olympia du 18 au 30 octobre 1994-

MUSIQUE. Il était revenu en force avec Un homme heureux, qui jouait le dépouillement,
la suite réveillant avec moins de succès les démons symphorocks de l'Elton John français. Son récital
94.

Sheller en grande pompe

(par Hélène Hazéra)

 

La scène est surélevée d’une estrade noire en retrait. Dans une ambiance sombre, un faisceau de lumière jaune isole le piano côté jardin. Sheller arrive, blafard, en gris et noir, ses grosses baskets compensées lui donnent une démarche de scaphandrier. Tout au long du concert, il sourira à peine plus que Buster Keaton dans ses films, pas plus qu’il ne promotionnera son dernier album : juste une sur les vingt-trois et une aria. Bilan et présentation : «Ça fait quatre ans, j’étais seul avec un piano  et j’ai eu envie d’avoir quelques amis qui fassent de la musique avec moi».
Ils sont dix-neuf sous la houlette du chef Jean-Pierre Catoul. Belges pour la plupart, ah ! la jolie violoniste rouquine en lunettes, robe et bas noirs…Le batteur est isolé derrière une cage de verre comme le témoin à charge d’un procès à risque.
D’un mouvement souple autant que nerveux du poignet, William a lancé les accords des Petites filles modèles, l’orchestre embraye et on n’imaginait pas ces fillettes de la divine comtesse habillées autrement que dans ces crinolines de cordes et de vents. Le public réagit au quart de poil à l’interjection finale « J’sais pas pourquoi j’te dis tout ça… »
A chanteur froid, public « cool » qui écoute et goûte ces paroles, soignées comme les arrangements. Elles racontent un univers cohérent ; une filiation risquée rattacherait le bonhomme à ces symbolistes dont les mots «naïfs exprès» racontaient des histoires un peu légendaires, entre heroic fantasy à venir et le Charles Cros de La Chanson perpétuelle, loin du malaise des banlieues.
Le chanteur à la tête rasée blague, flegmatique, s’amuse. Il a un peu l’air de s’amuser tout le temps avec sa formation, il la joue quintette à cordes ou octuor à vent pour un original Carnet à spirale, reprenant ensuite tout son monde, va et vient sur l’estrade.  Mais devient sobre pour un autre souvenir d’enfance à résonance collective, Nicolas : ses parents avaient laissé le bambin seul chez une voisine.
La soirée s’annonce bien, cordes et vents soulignent la phrase d’un élégant paraphe, mais le tacapoum de la batterie joue contre la voix. Deux « bonus track » dans un éventuel Sheller en public à l’Olympia : Dépression d’hiver, écrit en Angleterre cependant qu’il parachevait l’album, et l’Aria Dax, pour orchestre classique et Micheline Dax en siffleuse. Un exercice accompli de « musique pittoresque », où l’humour ne le cède en rien à l’émotion. Attention, la Dax qui joue au théâtre ne viendra pas tous les soirs (voir plus bas). Entracte. 
Le cœur et la voix réchauffés, avec quelle énergie l’auteur de Oh ! j’cours tout seul n’attaque-t-il pas sa Chanson noble et sentimentale. Mais une fuite d’eau se déclare : sa bouteille s’est répandue dans son piano et coule par terre, sur la scène.
A écouter toutes ces chansons l’une après l’autre, les malins remarqueront une constante : « je ». Même quand il fait parler un personnage contraire, Sheller chante le plus souvent à la première personne. Quand il n’est pas dans le « je », c’est qu’il est paysagiste, généralement d’hiver.
Petite B.A., William Sheller présente Olivier Bron (?!),  mignon brun, élève d’Alice Dona, qui, soutenu par Sheller et ses deux choristes, en pousse une joliment, puis une deuxième moins bienvenue. Batterie de plus en plus présente, effet de satiété ? On pense à Brel qui s’en tenait au tour de chant d’une douzaine de morceaux par peur de lasser. Et ce tic du commentaire avant la chanson qui escamote quasiment La Navale : l’histoire qu’il raconte avant laissait présager mieux.
Avec ça, peu de gestes : le bras droit tient le micro, le bras gauche, aux bons moments, devient un autre personnage. Le voici, Quand j’étais à vos genoux, tournant comme un derviche. On en est aux rappels, le moment idéal pour Dans un vieux rock’n’roll, qui ne laissait guère présager les débordements baroques (citation, pastiche) pour le bal à Versailles du Nouveau Monde. « Après, on va se coucher ». Bon, d’accord.

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* Concert à l’Olympia 28, bvd des Capucines, Paris VIIIe. 20 h 30 jusqu’au 30 octobre.
* Micheline Dax officiera les dimanches 23 et 30 en matinée.