Le Figaro N°15601
17 octobre 1994
-Série de concerts à l'Olympia du 18 au 30 octobre 1994-

A partir de ce soir, à l'Olympia
William Sheller, le «symphoman
» éclectique

(par Olivier Delcroix)

 

Pour sa rentrée parisienne, le pianiste et compositeur a choisi de réorchestrer ses chansons avec une formation de vingt musiciens.


Dans son antre parisien, William Sheller possède une pièce transformée en véritable studio d’enregistrement. Au milieu de tous ses ordinateurs, il peut, s’il le veut, convoquer un orchestre symphonique. Tel Winslow Leach, le compositeur fou de Phantom of the Paradise, Sheller s’est enfermé tout l’été pour réorchestrer vingt morceaux qu’il va interpréter à l’Olympia. Rencontre avec un musicien heureux.

- Le Figaro : « Quoi de neuf pour votre retour à l’Olympia ? » 
- William Sheller : « Nous serons vingt musiciens. Ce n’est pas énorme. Il y aura un quatuor à cordes, un sextuor à vent, plus une batterie placée derrière une vitre plexiglass, une basse et une guitare. Le mélange est harmonieux. Je me suis aperçu, après avoir travaillé dans différentes formules, que cette base était assez équilibrée. Maintenant, j’aurais envie de fonder un orchestre et d’enregistrer avec eux une vingtaine de nouvelles compositions. »

- « Avec Albion, vous avez signé un album qui rend hommage au rock anglais des années 60. Pourquoi ? »  
- «  Ce doit être le "syndrome Lenny Kravitz" qui se promène chez tous les musiciens en ce moment. Personnellement, je trouve que c’est un très bel imitateur. »

- «  Mais vous avez su garder la "patte" Sheller… »
- « Ça vient des harmonies. Le phénomène est simple : à partir du moment où il y a plus de trois harmonies dans la même tonalité, je m’embête. Donc, il faut tout de suite que je trouve quelque chose qui surprenne l’oreille. J’aime qu’on croit que la musique va dans telle direction, et que, d’un seul coup, elle bifurque. Cela fait partie de mon écriture. Mes musiciens se sont d’ailleurs un peu embêtés avec mes accords bizarres. En rock, certaines phrases ou certaines gammes bien spécifiques "tombent sous les doigts". Avec ce que je fais, ils ont été obligés de torturer un peu leurs guitares…»

- « Il y a dans cet album beaucoup de clins d’œil aux Beatles… »
- « Oui. Et notamment Hey bulldog, un titre que seuls les vrais amateurs connaissent. Je l’ai mis deux fois. Et sur scène, nous irons plus loin, puisque dans le morceau On vit tous la même histoire, il y aura des rajouts de cordes qui sont tout à fait typiques. »

La tête au carré

- « De quelle manière aimez-vous composer ? »
- « Je compose tous les jours, de sept heures du matin jusqu’à plus soif. L’inspiration, c’est comme un muscle : cela s’entretient. Moi, j’ai l’impression d’être branché sur un poste de radio pirate, qui émet des mélodies toutes faites dans ma tête. Le problème, ave cette écoute interne, c’est que je n’entends qu’un bout de la chanson. Ensuite, mon travail consiste à reconstituer toute la chanson, à la manière d’un paléontologue qui parvient à reconstruire toute la bestiole à partir d’une seule vertèbre. »

- «  Pourquoi avez-vous troqué la musique contemporaine pour la chanson ? »
- «   J’ai été dressé comme un cheval de concours, pour être Prix de Rome et compositeur de musique contemporaine. La tête au carré. J’étais sous l’influence de Pierre Boulez et  à un moment je me suis dit : "Non, ce n’est pas ça". Quand on veut être un compositeur d’aujourd’hui, il faut être utile à la musique de son temps. On n’écrit pas pour le futur. Certains disent : "Je ne vois pas pourquoi on s’intéresse à Sheller. Dans cent ans, on n’en parlera plus ! ". Franchement, je m’en fiche. Je serais mort, moi. Mais, au moins, de mon vivant, j’aurai servi à quelque chose. »