Avec
sa veste légère et ses chaussures lourdes comme des caisses, William
Sheller trimballe sur scène une image à mi-chemin du gentleman et
du teddy-boy. Entre variétés douces-amères et rock lourd
comme plomb, entre la solitude face au piano acoustique (dont il joue à
merveille) et les jeux de Meccano sur des bataillons de synthés, le chanteur-compositeur
balance, on le sait, d'un album à l'autre, avec l'indolence du zappeur
professionnel. Son plus joli couplet dit d'ailleurs qu'il veut être «un
homme heureux», heureux car épargné dans ses textes par
toute passion torturante et tout tragique destructeur - anti-Piaf, anti-Brel,
anti-Ferré -, heureux car résigné aux petits bonheurs de
notre fin de siècle. Heureux car lisse, transparent comme une image synthétique.
Heureux car branché sur son public par des chaînes multiples.
William
Sheller, cette fois, a choisi de diffuser ses charmes discrets sur un canal qui
ressemblerait à France-Musique. Il a investi la salle Pleyel, temple des
grands concerts symphoniques à Paris. Il s'est assuré les services
de l'orchestre des Concerts Lamoureux - cordes au grand complet, un choix de percussions
digne de Stravinski, une escouade de cors digne de Bruckner-. Et il a déniché,
quelque part entre Japon et Amérique, un chef d'orchestre au pedigree mirobolant
(protégé d'Ozawa, premier prix au concours de Besançon) et
au patronyme complètement mensonger. Yutaka Sado dirige sans la moindre
agressivité les Concerts Lamoureux, dont il vient d'être nommé
«chef invité privilégié» après un concert
marquant en 1993. Trente-trois ans, électrique, il a le swing dans la peau
et danse sur son podium des saltarelles dans lesquelles même Bernstein -
à l'évidence, son modèle - n'aurait pas osé se lancer.
Sacrée soirée dont le principal invité est Sheller lui-même,
vrai musicien féru de rythmes conjugués et de modulations compliquées,
formé dans les meilleures écoles où s'entretient l'art de
la fugue et du contrepoint. Avec cette décontraction au micro baladeur
qu'aucun «classiqueux» n'égalera jamais, il explique que Paul
Dukas, c'est vachement bien, puisque même Walt Disney dans Fantasia...
et lance L'Apprenti Sorcier. Jamais Dukas n'aura soulevé d'un
enthousiasme aussi unanime une salle Pleyel bourrée aux étages et
un peu clairsemée au parterre. Même allégresse chez ces explorateurs
extasiés pour l'ouverture des Maîtres Chanteurs, de Wagner
- «Une musique qui avance», dit Sheller - et pour une ouverture
des Noces de Figaro de Mozart exécutée sous la baguette
de Sado avec une rapidité de doigté et de phrasé digne de
grandes formations internationales.
Une compilation pédagogique
Entre
ces «saucissons» du répertoire classique (ainsi désigne-t-on,
dans le petit milieu des musiques écrites, les tubes et les hits), le chanteur
intercale ses propres succès, avec grand luxe de décibels mais sans
suffisance exagérée. Sheller et son succès auprès
des adolescents donnent ainsi ses chances, pédagogiquement, à une
compilation classique réunissant Dukas, Wagner, Mozart... ainsi le veut
l'air du temps.
La recette se gâte un peu lorsque la star parodie,
dans le prélude orchestral de sa énième chanson, le Voyage
sur le Rhin de Siegfried dans La Tétralogie. Pourquoi
ces soudaines nostalgies allemandes chez un mélodiste souvent proche de
Souchon et de Voulzy ? Tout bascule enfin lorsque l'orchestre des Concerts Lamoureux,
toujours dirigé avec fougue par Sado, entame le rôti : la Symphonie
en trois mouvements de William Sheller lui-même. Allegro orchestré
à la française mais sans squelette, phrasés caoutchouteux
du mouvement lent, double rythmique exotique et swinguée du finale, très
Bernstein. Chanteur, Sheller attendrit et charme en vrai professionnel. Compositeur
sérieux, il redevient un amateur. Vient enfin Excalibur, d'après
le film-culte de Boorman, orchestration pharaonique, texte zarathoustrien, chanson
limite. Transgression mégalomaniaque de l'interprète holographique
? On a changé de registre.