Le Monde
16 novembre 1991
-Concerts à l'Olympia en piano-solo les 13, 14, 15, 16 et 20 novembre 1991-

Les merveilleux nuages de Sheller
(par Véronique Mortaigne)

 

Deux heures de poésie en compagnie du chanteur et de son Steinway

 
Ni fleurs ni peluches pour William Sheller, mais une casquette à grande visière, offerte par une jeune fille aux cheveux ras. Une ovation prolongée de l'Olympia, debout pour rendre hommage à la performance d'un homme et d'un piano, qui pendant deux heures arrivent à capturer l'attention du public. La mise en scène est minimale, l'homme sans outrance. Mais Sheller est un rêveur, si prompt à s'envoler qu'il a dû s'amarrer à terre à l'aide d'immenses chaussures à semelles en étage et se visser sur la tête une casquette de base-ball pour que ses yeux ne se perdent pas dans le ciel.

Sheller, clown triste, amuseur amusé, chroniqueur de faits divers délicieusement imprécis, tisse les filets de son récital en solitaire pendant deux heures de charme, comme dans un salon où l'on cause, au bord d'une tasse de thé. Et d'une madeleine, tant chaque senteur, chaque vision fugace fait retomber le chanteur dans son enfance, dans la mémoire des sensations enfouies.

A l'Olympia, William Sheller, enveloppé dans la simplicité raffinée des lumières de Philippe Langelé, tout en pénombre et en éclats décalés (jamais sur le chanteur, souvent sur le Steinway), livre les secrets apparents de la fabrication d'une chanson, exorcisme, retrouvailles, messages personnels, rencontres éphémères, ou simples jours d'ennui (Genève). Oh ! J'cours tout seul : un rêve insistant, William court entre les rails, la locomotive le poursuit, il y a des cailloux, les passagers lui font des signes inintelligibles. Les Mots qui viennent tout bas : le tic-tac du réveil, le matin à l'aube dans une grande maison aux persiennes closes. Nicolas : la détestable odeur des poireaux d'Yvonne, la voisine du sixième, gardienne occasionnelle du petit William, fraîchement débarqué des Etats-Unis avec ses parents.

Sheller raconte tout cela, et la salle rit beaucoup, ravie des mots d'esprit, des ambiances esquissées, et de la passion épurée d'un chanteur qui rejoue à lui tout seul l'orchestre symphonique dont il avait nourri ses précédents spectacles et l'album Ailleurs, sorti en 1989.

En tournée, il avait inventé avec ses musiciens une romance intéressante à déchiffrer pour une section de cordes qui s'ennuyait en raison de la routine quotidienne. Petit à petit, la rengaine devint un joli cadeau de fin de concert, inédit, personnel. Un homme heureux, offert dans l'album Sheller en solitaire, fut sacré tube de l'été, pied de nez au clinquant et à la pacotille.

Sheller a imposé ses envies. Ce fut long, difficile. Il ne souhaite à personne d'emprunter ces chemins cahoteux. En bon magicien, il a sorti de sa manche, le temps de trois chansons, Carole Minerailles, une jeune fille à la voix superbement tendue, rencontrée au Palais des congrès en 1990. Au piano, elle aussi. «Quand quelqu'un sait comprendre un instrument, rentrer dedans, appuie William Sheller, c'est merveilleux