Le Parisien N°14196
2 mai 1990
-Série de concerts au Palais des Congrès de Paris, 2 au 8 mai 1990-

Défi
William Sheller : «Mozart aurait pu être disc-jockey !»

(par Alain Morel)

 


En s’installant avec soixante-dix musiciens sur la scène du Palais des Congrès pour y faire « aussi » du rock, il lance un nouveau pari.


Encore américain au sortir de sa petite enfance, mais bien français et prix de Rome après l’adolescence, William Sheller a très vite compris qu’on pouvait concilier la culture et la distraction, le subtil et l’efficace, l’imaginaire et le populaire. Roi des tubes quand il « courait tout seul » après le ketchup dans son hamburger », il a su conserver fans et adeptes quand il voulut faire rimer poésie avec symphonie, fantaisie avec harmonies. Seul  problème : les structures d’un métier où le rock et le classique se sont toujours toisés avec mépris.
Pour l’ex-fan des Beatles, cela relevait de l’hérésie. Il a donc mis sa foi et son look d’enfant de chœur au service de l’union : « Cela requiert certes patience et ténacité, cela implique aussi des petits nettoyages auprès d’équipiers trop néophytes mais il est réjouissant de constater qu’au-delà des tics médiatiques, le public répond présent. » Vrai aussi, l’enthousiasme intact de ce quadragénaire bon teint qui cultive la discrétion sans mâcher ses mots et multiplie les partitions à grands renforts de tabac blond, de café et de coca : « Quand on me demande si ça n’est pas un peu prétentieux d’écrire pour soixante-dix musiciens, et de ponctuer trois chansonnettes par un concerto pour violoncelle et orchestre, je réponds que ma seule prétention est de prétendre chanter. Composer, c’est mon métier, je l’ai appris comme le fait mon fils qui répète cent fois dans la chambre au-dessus les éternels décibels du rocker débutant. Mais oser donner de la voix quand nombre de ses compositions relèvent pour elle de l’acrobatie, ça c’est gonflé ! »
Qu’importe, notre homme l’avoue : il aime être en danger.  Alors, ce défi du Palais des Congrès comme celui, plus tard, d’un Macbeth écrit pour Diane Dufresne, le stimule : « Je veux enfoncer le clou symphonique, mais je ne suis pas un mégalo. Si j’emploie les chefs de pupitre de l’Opéra plutôt  que des musiciens de l’Est (très à la mode, surtout parce qu’ils coûtent 40 F par jour), ce n’est pas pour faire du spectaculaire. Je pense simplement qu’il faut de gros moyens pour pouvoir donner dans la nuance et que la culture des « classiqueux » européens, nourrie de jazz et de rock, est préférable à celle d’hommes que la censure contraignait à l’ostracisme. Mozart aurait pu être disc-jockey, puisqu’il écrivait des morceaux à danser ! »