Le Quotidien de Paris N°2488
21-22 novembre 1987
-Spectacle au Grand Rex, 18 au 24 novembre 1987-

William Sheller
jusqu’au 24 novembre au Grand Rex, 20 h 30
(par Aurélien Ferenczi)

 

Il y a des chanteurs qui jouent la sécurité,  et d’autres qui prennent des risques : certains qui innovent, et une grande majorité qui assure. En pratique, sur scène, l’alternative est simple : donner exactement ce que le public attend, c’est-à-dire  un décalque soigné, mais forcément limité, de ce qui a été fait sur disque. Ou surprendre. Loué soit William Sheller qui, à chaque occasion, a cherché à se renouveler. Entreprise d’autant moins simple que son public s’élargit, et qu’il est loin, aujourd’hui, d’être un franc-tireur de la chanson française. Ce public, cependant, risque d’être surpris par ce spectacle du Grand Rex ; Sheller a choisi une formule néo-classique, orchestre à cordes et quintette à vent. Quand Jean-Claude Vannier fait pratiquement le même choix dans un petit lieu, c’est de l’expérimental ; mais quand Sheller passe dans une salle de 3000 places, on pouvait effectivement s’attendre à quelque chose de moins novateur.
Il a donc du culot, et aussi du talent. On peut moins aimer les précieuses enluminures du Nouveau Monde, variations à la Lully style pogo sous Louis XIV ; mais le reste se tient. Et les nouvelles orchestrations font preuve d’une finesse, d’une délicatesse rares. Le Carnet à spirale uniquement soutenu par un quintette à vent ; Les miroirs dans la boue avec un trio piano-contrebasse-cor ; Les Orgueilleuses où l’affrontement entre le chorus du saxophone et les arrangements de cordes symbolise l’opposition musique classique-contemporaine qui sous-tend le travail de Sheller.
Surprise, aussi, dans le sous-emploi du décor. Sheller a des moyens, de l’imagination, un goût pour le mauvais goût qui est bien de son époque ; mais à aucun moment il n’utilise le décor savamment kitch qu’il a fait dresser. Tant mieux, en un sens ; il reste là comme un clin d’œil : Sheller s’entoure de mauvais goût pour mieux l’éviter et nous donner un récital dépouillé, épuré, qui met en valeur son exceptionnel talent de composition. A vrai dire, c’est pousser le second degré un peu loin ; et ce spectacle aurait gagné en émotion dans une autre salle, sinon l’Olympia, du moins la Cigale ou l’équivalent de l’ancien Bobino. Mais rien que pour sa manière d’aller contre les idées reçues,
Sheller doit être encouragé.

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Nota bene : Dans les variétés, ce n’est pas comme au théâtre, ni à l’Opéra, toutes les excentricités sont permises. Commencer une première avec une heure de retard, pour permettre aux invités mondains de se congratuler tout à loisir, ce n’est pas la meilleure manière d’inciter à l’indulgence. Le spectacle valait sans doute cette attente, mais ne l’excusait pas.