Le Matin de Paris N°3327
14-15 novembre 1987
-Le spectacle musical Quasimodo, joué à Paris du 14 novembre au 27 décembre 1987-

Ce soir débute Quasimodo, drame de Victor Hugo remanié pour les besoins du « happy end »
Moi Quasimodo, toi Jane

(par Sylvie Coulomb)

 

Quasimodo est funambule, Esméralda fait le yo-yo entre une tour de Notre-Dame en meccano amélioré et la plage en contrebas. Notre-Dame de Paris en version bédéiste pour mouflets nouvelle formule. Sur une île à Paris XIIe, morne plaine, la Cour des miracles pour Noël.


Six petits moines pénitents en robes rouge sang imprimées de têtes de mort, encapuchonnés de noir, sont agenouillés sur le sable. L’heure est tragique : Esméralda (Nicoletta) est en passe d’être pendue pour outrages divers aux bonnes mœurs du temps. L’angoisse est à son comble.
Par bonheur, Quasimodo (Antoine Rigot) surgit à point nommé. Contrefait, bossu, funambulique ainsi qu’il est convenu, moche comme tout et rouquin encore plus, il enlève Esméralda. Comprenez qu’il la prend sous le bras et l’emmène au ciel agrippée à une liane plus que providentielle, jusqu’à une sorte de tour de meccano et boiseries. Youpi !

Ambiance BD
Nous sommes sous un chapiteau (chauffé), avenue Daumesnil, Paris XIIe. Dehors, le bourbier. Dedans, les répétitions de Quasimodo, spectacle lacustre et amplement médiéval du Théâtre de l’Unité, starring Nicoletta sur une musique de William Sheller et une mise en scène d’Hervée de Lafond et Jacques Livchine. L’ambiance est à la bande dessinée, la Cour des miracles est peuplée de tire-laine punkisant et de nombre de ribaudes loubardes.
Louloute en chef : Nicoletta, la Esméralda en mini-jupon rouge, santiags et perfecto à dentelles. On en prend joyeusement à son aise avec Victor Hugo sur cette île sablonneuse circonscrite d’une douve où poussent ça et là des ajoncs en plastique du plus bel effet. Les barques slaloment entre les canards (des vrais), deux cages hébergent Nicoletta et sa chèvre (des semaines de dressage en Suisse), deux personnages aux yeux bandés jouent les écureuils délirants dans une roue de la mort en folie (Ce sont les éleveurs de la chèvre). Happening dantesque chez les coupe-jarrets.
Pour l’heure, Esméralda perchée au sommet de sa tour vocalise a capella, trépigne, réclame des cigarettes. Une victime désignée lui en sacrifie un paquet noué qu’elle hale au bout d’une corde jusqu’à ses hauteurs solitaires. Hervée de Lafond, metteuse en scène en bleu de travail, s’inquiète, en bas, des filets de protection anti-vols de canards. Herses, poulies, planches à scier, on brasse, on s’active. La fièvre monte chez les gueux.
Antoine Rigot (Nicoletta l’appelle Quasi), baguenaude sur un fil, cabriole et escalade, beau ou laid, on ne sait plus bien à ces altitudes. Descendue de son perchoir, Nicoletta tombe le perfecto, se pose en haillons épatants sur les gradins encore déserts et vocifère au sujet de son personnage : « Esmé, c’est aussi fort que Carmen. Quoi, une superwoman ? J’en ai ras le bol des superwomen, moi. J’entends ça à longueur d’interview. Moi je suis une bonne femme, normale. J’ai un gamin de huit ans, je veux pas en faire un pédé. Les mecs en ont marre de ce refrain. » Qu’on se le dise, Nico est une femme-fleur, éthérée, aux confins de l’évanescence, une fée des chaumières. « Ugh », elle a dit.
 
Des promenades au bout d’une liane
Mais diva, on ne se refait pas. « Comment tu trouves mes fanfreluches, c’est Higelin qui en avait eu l’idée. Il devait faire la musique, mais il tournait un film au même moment. J’ai conseillé William Sheller. C’est superbe, son truc. » Ces promenades au bout d’une liane (Moi Quasimodo, toi Jane ?) ? Une rigolade. « Je suis savoyarde, non ? » Et de s’envoler au briefing quotidien sous tente aménagée, de la boue jusqu’aux oreilles, ravie.
Le plateau, vide, ressemble à un délire enfantin. On se prend à suspecter un décorateur de dix ans et demi auquel on aurait donné carte blanche pour amuser le monde. Trois mois de construction pour en arriver à ce terrain de jeu comme on n’en fait plus, couvert des accessoires nécessaires à un après-midi réussi : de l’eau, du sable, des planches et des clous, des ficelles et des vraies bêtes. Le paradis. Mais sans Lollobrigida…

Une atmosphère de réjouissante émeute
La nouveauté de cette version de l’Unité, c’est le happy end. Point de Esmé-Quasi jetés à la fosse commune. Ici, les méchants trépassent. Esméralda est graciée, épouse Phœbus le jour de l’anniversaire de Quasimodo. On suppose qu’il se console avec le gâteau. Ces réjouissances finales sont inspirées de la version écrite par Hugo pour l’opéra. Le tout est envisagé selon une démarche émeutière en diable, puisque vingt-huit comédiens donnent la vie à quatre-vingt personnages. Un chantier qui grouille, une armée de déchaînés à malice à la manière habituelle du Théâtre de l’Unité.
Or donc, ce sont cinq mille cinq cent places quotidiennes qui attendent les bambins hugophiles pendant les vacances de Noël, ainsi que leurs pères, ces héros aux sourires si doux.