William Sheller, Dream  Factory, Nicoletta, Marcel Carné, vodka, gin, téquila, mezqual, 
      
      rince-cochon, garcon ! Un dernier pour la route ! ...
  
  C’était la fin du jour et je me dirigeais vers le métro  Barbès en pensant à Marcel Carné qui pour un tournage avait reconstitué la  station en studio. Je suis monté dans la voiture et je me suis endormi. Je me  suis réveillé trois heures plus tard à la station Pigalle.   Il était neuf heures du soir et j’allais être en retard à la  générale de William Sheller à l’Olympia. Quand je suis arrivé la salle était  dans la pénombre et William, vêtu d’une veste en patchwork psychédélique  interprétait au piano : Simplement,  sa nouvelle composition. Il était accompagné par un quatuor à cordes, le groupe  Contrebasse (1). Les paroles de la chanson étaient d’une poésie évanescente,  une histoire d’amour un peu triste quand celui qu’on chérit n’est plus là, et  que tout pourrait recommencer « Simplement  en te regardant/J’aurais tellement de choses à te dire» (2). 
    Durant la seconde partie du spectacle, William refit ses  plus grands succès qu’on retrouve sur l’album live enregistré à ce même Olympia  en 82. Symphomane (3) («C’est un personnage que je connais très bien  et que je voudrais vous présenter»), Un  vieux rock’n’roll (4) («qui revient  comme un beat sourd (5) qui traîne dans la mémoire»), Le Cahier à spirale (6) («Celui  que l’on a tous eu dans notre enfance où nous faisions des collages à la gomme  arabique») et Je suis pas bien (7) («Quand tout va mal»).
    Dans Les filles de l’aurore, William  parle de ses amis noctambules, ces garçons de la première aube qui glissent  leurs jambes frêles dans des jeans usés, et qui s’en vont au bar boire un dernier  verre avant que le jour ne se lève. Le concert me plongeait dans une douce  torpeur. William ayant troqué son groupe de rock’n’roll pour quatre musiciens  belges qui savent aussi bien jouer du violon, que du violoncelle ou de la  contrebasse.
    En guest star, nous eûmes droit à la prestation scénique de Didier Odieu, jeune  chanteur belge qui se cherche un style entre Jacques Brel et Lio.  S’accompagnant au piano, il interpréta une chanson où il était vaguement  question de suivre des lignes dans un champ labouré (8). 
    Le concert de William fut un triomphe. Sous l’ovation générale, il quitta la  scène de l’Olympia pour aller boire un verre chez Marylin (le bar du backstage (9)). Là j’ai rencontré Nicoletta, qui m’a fait remarquer que sur le mur, sa  photo avait été plastifiée avec celles de Brassens et Brel. 
    Nous avons continué la soirée aux Semailles (ancien Bœuf sur le  toit), où Jean-Jacques Jouteux et René Salmon donnaient une soirée en  l’honneur de William. J’y ai retrouvé Jacky qui lui aussi était tombé sous le  charme de notre star qui se fait un chemin au travers de la chanson française,  simplement.
    Je me suis longuement entretenu avec les gens de Dream Factory qui m’ont déclaré que le tournage du clip de Sheller (10) avait été un véritable tour de force : un seul mouvement de caméra qui  balaye une rue, un petit hôtel, monte un escalier, s’arrête dans une salle de  concert peuplée de cent cinquante figurants…
    J’avais envie de faire une interview avec William, mais il était tellement  entouré, que je n’ai pas osé le déranger. Je me suis assis dans un coin avec  Nicoletta et nous avons dessiné sur la nappe des profils dans le style de  Cocteau qui il y a trente ans, avait lui aussi hanté Le bœuf sur le toit. Je pensais à Boris Vian qui, en ce lieu, lança  le jazz à Paris. Au fur que la nuit s’avançait, je pensais à l’aurore, celle de  la chanson de Sheller, une aurore mythique, où je me serais retrouvé avec lui  et quelques autres garçons dans le bar d’un drugstore galactique, quelque part  dans la voie lactée, je lui aurais offert un verre et j’aurais entrevu en songe  la Babel de bouteilles que j’ai bues durant mes vies antérieures, une tour  biblique de verres cristallins, des verres effilés de téquila qu’on accompagne  de sel et de citron, des verres de vodka qu’on boit dans la rue, des gin tonic  sur le zinc, des digestifs genre cognac, des demis aux portes de backroom, des  remettez-moi-ça-garçon un peu honteux, des gourdes de mezcal à Guarnaraca… et  toutes ces bouteilles se sont entrechoquées, se sont brisées : le verre éclatait  sur les murs de métal. C’est Nicoletta qui m’a tiré de ma rêverie.  Un vieux monsieur me tapotait l’épaule, il  devait avoir dans les soixante-dix ans, il m’a dit qu’il avait beaucoup entendu  parler de moi et qu’il était charmé de faire ma connaissance, c’était Marcel  Carné, celui qui avait mis en scène Le  jour se lève. 
            
            -------
            William Sheller, jusqu’au 16 à l’Olympia, à 20 h  30. 
            ------
            
            Notes du site :  
            1)  Le quatuor à cordes qui  accompagnait William Sheller s’appelait «Le Quatuor Halvenalf». L’Orchestre de  contrebasses intervenait seul dans la seconde partie du spectacle. 
            2) La vraie citation est  : «Simplement/En te regardant/J’aurais  presque l’envie de te suivre ». Vu l'explication, le chroniqueur n'a visiblement pas tout compris dans la chanson... mais il devait être encore mal réveillé ! 
            3) Symphoman (sans e).
            4) Dans un vieux rock’n’roll.
            5) En bon français, un battement sourd. 
            6 ) Le Carnet à spirale. 
            7) J’suis pas bien.
            8) Cette chanson de Didier  Odieu s’appelle Le tracteur. Elle a  été enregistrée en live lors de ce concert et parue sur 45 t. 
            9) Ou pour dire plus  simplement, le bar des coulisses de l’Olympia qui était tenu par une dénommée Marylin. 
            10) Le clip de Mon Dieu que j’l’aime, produit  par la firme belge Dream Factory.